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Publié par andika

La collaboration entre Hilary Hahn, Mikko Franck et l'Orchestre Philharmonique de Radio France est fructueuse et continue de se nouer année après année. En 2019, après un mémorable concert où la violoniste américaine avait triomphé à l'auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique, dans le Concerto pour violon de Sibelius, avait succédé une tournée de six dates en Espagne. Puis en 2021, est paru chez Deutsche Grammophon un album sobrement intitulé Paris, comprenant des oeuvres de Chausson, Prokofiev et Rautavaara. Pour la saison actuelle, une nouvelle tournée rassemble une fois de plus cette équipe qui gagne. Et cette dernière commençait le vendredi 21 avril 2023 à Radio France, avant de s'envoler pour l'Allemagne, dans un programme alliant le Concerto pour violon de Brahms et la Symphonie n°5 de Chostakovitch.

Hilary Hahn sur le poster officiel du concert

Le Concerto pour violon en ré majeur de Brahms a été composé entre 1877 et 1878 et créé à Leipzig, par le Gewandhaus dirigé par le compositeur, et par le violoniste à qui il était dédié, l'ami du compositeur et virtuose, Joseph Joachim (qui a d'ailleurs conseillé Brahms sur la partie soliste). Dans le premier mouvement noté Allegro non troppo, l'introduction est purement orchestrale. Mikko Franck tire de l'Orchestre Philharmonique de Radio France un son doux et rond, dans le premier thème qui expose les notes de l'arpège. Dans la succession de motifs secondaires, les cordes sont transparentes, et le phrasé est très fluide. Mais l'ensemble devient pus acide à mesure que l'influence hongroise s'empare des motifs exposés, jusqu'à ce que la soliste fasse irruption de façon tonitruante. Hilary Hahn a le don de rendre simples les difficultés de la partition. Au milieu des accords, octaves, bariolages et traits d'arpèges, cette dernière parvient à faire chanter son violon avec aisance. En conservant un discours très peu affecté, en dépit d'un vibrato généreux. Son jeu est limpide et semble relever de l'évidence même. Le dialogue qui s'instaure entre la soliste et l'Orchestre Philharmonique de Radio France est plaisant (lorsque l'orchestre par exemple reprend le plus naturellement du monde un nouveau thème exposé par la soliste). Et la cadence sublime ne fait que confirmer que Hilary Hahn est une violoniste d'exception. Dans le deuxième mouvement qui est un paisible Adagio, Mikko Franck abandonne sa baguette pour diriger rien qu'avec les mains. La petite harmonie est sublime, notamment le hautbois d'Hélène Devilleneuve qui expose une merveilleuse mélodie, avant que Hilary Hahn ne la reprenne et ne l'amplifie, mais tout en étant en adéquation avec le jeu de la hautboïste solo du Philhar'. Ces deux femmes parlent la même musique. Et tout au long de ce mouvement, le dialogue entre la soliste et les vents sera du même acabit. Ce mouvement est celui du dialogue et de l'apaisement. Au contraire du Finale, qui est à la fête. Mikko Franck fait du Philhar' un orchestre bondissant, qui mord dans chaque attaque. L'influence tzigane de cette musique saute aux oreilles. Et dans ses gestes de la main, on sent qu'il réclame aux musiciens du caractère. Et le message semble être reçu du côté des percussions. Hilary Hahn de son côté ne manque pas de caractère. Notamment dans sa façon de jouer les arpèges et les trilles avec une précision diabolique. Mais aussi dans ce rythme pointé joué avec délectation. Délectation ressentie par le public d'un auditorium plein à craquer, qui a offert une longue ovation aux musiciens. Et la soliste n'est pas revenue pour un bis mais pour deux. Avec tout d'abord le Largo de la Partita en ut majeur, BWW 1005 de Jean Sebastien Bach, avant de nous offrir en création française une composition de Steven Banks, intitulée Throught my mother eyes.

Au concerto de violon de Brahms en ré majeur succède la Symphonie n°5 en ré mineur de Dmitri Chostakovitch. Composée en 1937 après la cabale lancée contre le compositeur dans la Pravda en réaction à son sublime opéra Lady Macbeth de Mzensk. Et à cette époque de terreur stalinienne en Union Soviétique , déplaire au pouvoir pouvait être synonyme d'arrêt de mort pour un artiste. Et malheureusement, l'actualité récente de la Russie tend à s'inspirer de cette époque funeste. Dans ce contexte, la Symphonie n°5 était celle de la réhabilitation, et du rejet de tout procès en formalisme, avec une structure traditionnelle et une fin optimiste. Cependant, à l'écoute, cette symphonie est tellement plus que cela. Elle est le reflet de son époque et le reflet mental de son concepteur. Lorsque Mikko Franck arrive sur l'estrade, en marchant à l'aide d'une béquille, on se dit que si quelqu'un saisit bien le tragique et l'ironie de Chostakovitch, cela doit bien être lui. Et d'emblée, dans le premier mouvement noté Moderato, le tempo calme instaure une ambiance anxieuse, douloureuse. Une tranquillité parfaitement effrayante où la musique avance plus par l'énergie du désespoir. Ce premier thème fait d'intervalles brisés et de rythmes pointés aux cordes, angoisse. Le deuxième thème amène une accalmie de l'angoisse avant que le thème pastoral exposé à la flute, puis à la clarinette ne réconforte. Mais tout cela explose dans le développement caractérisé par l'entrée du piano en staccato. Mikko Franck ici libère toutes les forces de l'orchestre dans une tension dramatique de tous les instants. Les nuances sont débridées, les fortissimos résonnent dans l'auditorium qui ne sature pas. Le pupitre de cuivre et celui des percussions répondent présents. L'atmosphère lugubre de ce mouvement oppresse l'auditeur, et la fin du mouvement avec le sublime solo de violon de Ji Yoon Park, et célesta interrogateur, ne résout rien. Le scherzo qui suit est censé être le grand numéro d'ironie et de légèreté de la symphonie. Mais Mikko Franck ne semble pas de cet avis. Sur un tempo vigoureux, l'acidité de cette musique ressort. Des attaques franches, âpres, une petite harmonie piquante au staccato délicieux, beaucoup de caractère dans ce moment parodique mais qui pris au sérieux, ne fait plus rire, tant son côté revêche est accablant. On sent un combat contre la peur, avec l'énergie du désespoir, notamment dans ce sublime passage en pizzicato aux cordes. Le Largo est le grand moment d'émotion. Les cordes y sont divisées pour un effet qui rappelle le choral. Mikko Franck une fois de plus abandonne sa baguette. L'angoisse transpire ces pages, dans le vibrato des cordes, dans la mélodie jouée au hautbois solo et même dans le tutti, où on retrouve les accents du fatum de Tachikovski. Quel contraste avec le dernier mouvement, Allegro non troppo. D'emblée, l'orchestre joue très, très fort. Le volume a rarement été aussi élevé dans l'auditorium de Radio France. Le tempo est vif, les attaques sont une fois de plus tranchantes dans une sorte de course à l'abîme. L'accalmie du passage poco animato où le thème principal revient transformé, amène une tension, avant que l'irruption subite de la tonalité de ré majeur ne précipite ce final dans un tempo ahurissant, et tellement plus rapide que ce qui a précédé. Une fin triomphale pour répondre aux critiques de l'époque. Mais aussi une sorte de pied de nez quand on accélère le tempo. Et ça, Mikko Franck l'a bien compris. Une interprétation pleine d'énergie, d'équilibre et d'émotions, où l'on sent un chef qui affectionne la partition.

Concert disponible à l'écoute pendant un mois sur France Musique

Programme du concert du 21 avrils 2023 à Radio France
JOHANNES BRAHMS
Concerto pour violon et orchestre en ré majeur (op. 77)

DMITRI CHOSTAKOVITCH
Symphonie n° 5 en ré mineur (op. 47)

HILARY HAHN violon
ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE RADIO FRANCE
MIKKO FRANCK 
direction

 

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