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Publié par andika

Lady Macbeth de Mzensk est sans doute l'événement de cette saison 2018/2019 à l'Opéra National de Paris. Il s'agit d'une nouvelle production de cette œuvre de Chostakovitch que l'on donne rarement dans la capitale. Dans une mise en scène sans concession de Krzysztof Warlikowski, on en prend plein la vue. Et en effet, comme le prévient le site de l'Opéra de Paris, "certaines scènes peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes ainsi que des personnes non averties."

Opéra en quatre actes et neufs tableaux, composé dans les années 1930, créé en 1934 à Leningrad, il a connu un succès fulgurant avant d'être stoppé net par Staline. Les soviétiques y voyaient quelque chose de bien éloigné de leur cher réalisme socialiste. Certains y décelaient de la pornographie contraire aux bonnes mœurs. De sorte que, on soupçonne Staline lui-même d'avoir écrit un éditorial assassin dans la Pravda en 1936, avec des menaces à peine voilées à l'encontre du compositeur. Tant et si bien que la partition a été mise à l'index pendant 30 ans et que Chostakovitch n'est plus revenu à la forme de l'opéra par la suite. Et pourtant, dans son projet initial, il s'agissait de faire une trilogie consacrée aux destins tragiques de femmes russes.

Nous n'aurons donc que le destin de Katarina Lvovna Ismailova, et ce destin est largement suffisant. Mariée au marchand Zinovy Borisovich Ismailov, dans une union sans amour avec un époux impuissant, elle vit également sous la coupe et la surveillance permanentes de son beau père, Boris Timofeevich Ismailov. Dans cet océan de solitude et de frustrations, elle ne va pas tarder à tomber sous le charme de Segueï, le nouvel employé des Ismailov...

Décors de l'opéra dans un abattoir ! Crédit Bernd Uhlig/OnP

Décors de l'opéra dans un abattoir ! Crédit Bernd Uhlig/OnP

Un monde sans concession

Brillante idée que de faire des Ismailov des propriétaire d'un abattoir de porcs. Ce cadre étant tout sauf glamour, il permet de se plonger très facilement dans le drame et l'ambiance oppressante que veut dépeindre le metteur en scène, Krzysztof Warlikowski. On voit la viande, la chair devient simple objet et c'est une métaphore pertinente du statut de la femme dans cette histoire qui se déroule dans la Russie du XIXème siècle. Chair crue, broyée, consommée sans modération et sans concession. Ainsi, les scènes suggestives sont éminemment explicites. Et oui, nous voyons des fesses à l'air, des culottes voler, des levrettes ! Du cul, du cul, du cul ! Mais ce n'est pas gratuit. Cela fait partie de la vie, et d'une certaine réalité. Oui, cela existe les viols collectifs malheureusement, et la scène de l'agression de Askina est criante de vérité. Avec ce rideau baissé, ces prédateurs qui ne sont que des ombres derrière elle et cette musique qui crée un climat d'angoisse. Et d'un autre côté, oui, le désir ardent de Katarina n'a d'égal que sa frustration. Elle frustrée d'être seule dans un mariage dépourvu d'amour et de relations charnelles, elle frustrée d'être brimée par son beau père. Elle est enfin simplement frustrée de ne jamais faire l'amour, de ne jamais être caressée. De nombreux tableaux viennent dépeindre cette frustration, notamment le premier où elle se plaint de son existence monotone, ou un autre où elle déplore qu'aucun homme ne la courtise là où les oiseaux chantent , et les chevaux sont là pour les juments. Il devient alors logique de la montrer se masturber. La violence est également omniprésente avec les nombreux meurtres de notre héroïne shakespearienne. Mais en plus d'être physique, la violence est avant tout verbale et psychologique. "Katarina, tu es une salope !" dit Sergueï dans l'acte IV, une fois au bagne à cause de leurs forfaits, sans doute un des passages les plus violents pour ce personnage. Enfin, dans ce monde sinistre, même la police se plaint à voix haute de ne pas avoir suffisamment... De pots de vin !

La scène du viol collectif  Crédit Bernd Uhlig/OnP

La scène du viol collectif Crédit Bernd Uhlig/OnP

Une musique personnage

Et quelle musique ! Car oui, il s'agit d'un drame mais l'humour caustique de Chostakovitch vient s'exprimer avec toute sa créativité et n'ayons pas peur des mots, son génie. Que serait la scène du coït entre Sergueï et Katarina sans cette musique fantastique et ces cuivres et percussions signifiants chaque coup de rein, et ce célèbre glissando de trombone final narrant la jouissance. Rarement musique aura été aussi explicite et rarement une mise en scène n'aura été à ce point au service de la musique. Pas d’ellipse, pas d'atténuation, pas de jeux de lumières, la vérité crue. Le compositeur n’hésite pas non plus à faire de l'humour noir lorsque que la musique narrant les meurtres est totalement burlesque. Mais Chostakovitch s'immisce également ailleurs, notamment dans une façon récurrente de dénoncer les mensonges des personnages en glissant malicieusement soit la flûte, soit le picolo, soit la petite clarinette. L'expression jouer du pipeau n'a jamais eu autant de sens. Ainsi, lorsque Serguei dit à Katarina ce qu'elle veut entendre pour a séduire, ou que Katarina ment sur la cause de la mort de Boris. Au contraire, lorsque Katarina est sincère dans son amour envers Serguei, le violon solo intervient. Encore, lorsqu'elle est triste au bagne dans l'acte IV, c'est le cor anglais qui vient souligner sa souffrance. Chostakovitch met ses chanteurs et ses chanteuses dans les meilleures conditions, et surtout, il ne perd jamais de vue la scène dans son écriture. Musique franchement moderne, ancrée dans le 20ème siècle, qui ne cherche pas les numéros de gloriole pour l'égo des chanteurs mais qui, au contraire, embrasse la vision de l'opéra comme art total. Et lorsqu'une mise en scène n'oublie pas de faire du théâtre comme dans cette production, on atteint vraiment un très haut niveau.

Crédit Bernd Uhlig/OnP (pour la représentation du 16 avril, Aušrinė Stundytė a troqué ses talons pour de belles baskets bien confortables après son accident du mardi 9 !)

Crédit Bernd Uhlig/OnP (pour la représentation du 16 avril, Aušrinė Stundytė a troqué ses talons pour de belles baskets bien confortables après son accident du mardi 9 !)

Une mise en scène percutante

L'idée de faire du foyer de Katarina une grande cage est fabuleuse. Son foyer est une prison qui n'est pas si éloigné que cela du bagne et cela permet de montrer de façon clair l'enjeu de cette histoire, à savoir l'émancipation. C'est dans cet aspect que cet opéra est profondément féministe. Il montre en effet comment une femme prend son indépendance. Malheureusement, les moyens employés pour y parvenir sont légèrement criminels mais tout de même, ce refus de sa condition, ce refus du malheur perpétuel. Cette révolte, cette ardeur déployée dans sa propre libération, font de Katarina un personnage fort intéressant et touchant. Mais ce n'est pas tout, pour le mariage entre Katarina et Sergueï au début de l'acte III, on a droit à un grand spectacle de cirque. Cela souligne bien à quel point cette union est factice et fondée uniquement sur l'intérêt pour Sergueï. Sans parler des crimes qui l'ont rendue possible...

Cérémonie de mariage ! Crédit Bernd Uhlig/OnP

Cérémonie de mariage ! Crédit Bernd Uhlig/OnP

Des chanteurs/acteurs au top !

Pour parfaire ce tableau, on ne peut pas ne pas avoir de superbes chanteurs et acteurs. Car en dehors de leur engagement physique, de leur jeu au niveau des émotions, ils n'en oublient pas de bien chanter. Aušrinė Stundytė est une merveilleuse Katarina, pleine d'ardeur, de feu, de désir. Femme incandescente et passionnée, mais aussi une solide soprano qui fait passer les bonnes émotions sur ses airs, notamment lorsqu'elle se lamente dans la première scène où lorsque totalement désespérée au bagne, elle est acculée au suicide. Un beau médium, très sollicité pour ce rôle, mais également des aigus remarquables, et juste ce qu'il faut au niveau de la prononciation pour un public qui n'entend de toutes façons pas le russe dans son immense majorité. Enfin, aucun souci de projection. On est ému par cette femme qui passe par tous les états. Cheveux courts et noirs pendant la première partie, perruque blonde pendant son mariage, et enfin cheveux décolorés au bagne, à la fin de toutes ses illusions, avant de se jeter dans le fleuve tel Javert dans Les Misérables. Javert, Katarina, tous les deux ont déraillé. Dmitry Ulyanov campe un Boris tyrannique au possible avec sa belle voix de basse, néanmoins, il fait montre de bienveillance à l'endroit de Katerina dans une scène où il admet de le problème d'impuissance de son fils. Ah si jeunesse savait et si vieillesse pouvait ! Enfin, saluons ici Pavel Černoch qui campe un Sergueï au look de cowboy, macho au possible, qui n'hésite pas à donner de sa personne sur scène. Sa voix était un peu timide au début mais au fur et à mesure de l'avancée du spectacle, il est parvenu à exister avec son beau timbre de ténor.

Le bagne Crédit Bernd Uhlig/OnP

Le bagne Crédit Bernd Uhlig/OnP

Une direction musicale optimale

Enfin, comment ne pas mentionner le chef d'orchestre Ingo Metzmacher à la tête de l'Orchestre de l'Opéra National de Paris ? Totalement dévoué à la scène et à l'action, avec des tempi très adaptés, des nuances qui racontent à elles seules l'histoire, et qui obtient des musiciens de l'orchestre une réactivité et un engagement sans faille. De plus, le choix judicieux du premier mouvement du Quatuor à corde n°8 de Chostakovitch entre les actes III et IV est à saluer. Cette musique vient en effet illustrer le drame qui se joue, et renforce les images projetées à l'écran pendant cet intermède. En outre, la spatialisation des cuivres dans les balcons donne à de nombreux passages un effet absolument fabuleux. Sans oublier les diverses interventions des choeurs de l'Opéra national de Paris, qu'il s'agisse des ouvriers de l'abattoir, des convives du mariage ou des bagnards. Un chant toujours empli de cohésion, de puissance et de justesse, ajoutant encore à la dramaturgie.

Katarina complote Crédit Bernd Uhlig/OnP

Katarina complote Crédit Bernd Uhlig/OnP

En conclusion, il convient d'ajouter que l'on est comblé d'assister à ce genre de spectacle où l'on constate que l'art, l'opéra, restent ancrés dans notre temps. On est bien loin du musée ! Rien de plus viscéral, rien de plus vrai que ce que l'on a pu observer sur cette scène de Bastille dans ce merveilleux spectacle. Il heurtera peut-être ceux qui cherchent quelque chose de plus traditionnel, mais pour le cinéphile habitué par exemple à l’œuvre de  Gaspar Noé ou à celle de Lars Van Trier, rien de bien choquant ici, que de l'ordinaire. Rien n'est mieux qu'un art qui semble si vrai, si authentique et qui reste si proche de l'humain. A voir sans hésitation, aucune !

Compte rendu portant sur la représentation du 16/04/2019

Nouvelle production de Lady Macbeth du district de Mzensk de Chostakovitch dans une mise en scène de Krzysztof Warlikowski et sous la direction d’Ingo Metzmacher à l’Opéra de Paris.

Dmitri Chostakovitch (1906-1975)
Lady Macbeth du district de Mzensk, opéra en quatre actes (1934)
Livret du compositeur et Alexander Preis d’après la nouvelle de Nikolaï Leskov

Chœurs et Orchestre de l’Opéra national de Paris
direction : Ingo Metzmacher
mise en scène : Krzysztof Warlikowski
décors & costumes : Małgorzata Szcezęśniak
éclairages : Felice Ross
vidéo : Denis Guéguin
préparation des chœurs : José Luis Basso

Avec :
Dmitry Ulyanov (Boris Timofeevich Ismaïlov), John Daszak (Zinoviy Borisovich Ismaïlov), Aušrine Stundyte (Katerina Lvovna Ismaïlova), Pavel Černoch (Sergueï), Sofija Petrovic (Aksinia), Krzysztof Baczyk (le Pope).

 

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C
Lu d'une traite (comme d'habitude!). Le sens de la narration au service d'un article-retour qui tient du témoignage de spectateur avant tout et toujours inspiré par la personnalité autant que par le musicien dans la partie dévolue à la critique. Merci Andika.
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A
Sachant que j'avais un peu d'appréhension avant d'écrire cet article. Mais bon, j'ai une règle, je reste moi même, aussi spontané, aussi enthousiaste. Et s'il faut utiliser certains mots, je fonce quand même et si ça pose problème, on en discute après :)
A
Merci beaucoup pour ce gentil message. Ça m'encourage à poursuivre :)