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Publié par andika

J’ai récemment terminé de lire l’Archipel du goulag de Soljenitsyne et en fermant la dernière page de ce livre, je refermai également une parenthèse de dix années en quelques sortes.Tout à commencé il y a près de dix ans donc, j’étais encore au collège, en classe de troisième lorsque ma mère est arrivée super enthousiaste un jour à la maison avec quelques livres d’un auteur que je ne connaissais pas encore. Il s’agissait bien entendu de Soljenitsyne. Elle avait rapporté avec elle l’Archipel du Goulag, Le premier cercle et Le chêne et le veau. Elle me disait à quel point cet auteur était formidable et important et comment une trentaine d’années auparavant, ses livres avaient fait grand bruit en provenance du bloc de l’Est. A cette époque, encore au collège, j’étudiais justement cette période historique de la Guerre froide, la Seconde Guerre mondiale également, les totalitarismes. Tant et si bien qu’un jour en cours d’histoire, nous avions eu à lire un extrait de l’Archipel dans notre manuel. Un passage si marquant qu’il m’avait convaincu de commencer à lire ce livre. Je commençai alors le premier chapitre mais je m’arrêtai assez rapidement, il s’agit tout de même d’une œuvre un peu compliqué pour un adolescent de 15 ans. Toutefois, je me suis promis à cette époque de le lire un jour. (J’aurais peut être du me rabattre sur Une journée d’Ivan Denisovitch à l’époque mais je ne connaissais pas encore ce livre). Trois années après cette première rencontre avec Soljenitsyne, j’ai appris avec tristesse qu’il était décédé, à l’été 2008. Cela n’avait pas fait trop de bruit à l’époque, si ce n’est Mélenchon qu’il l’avait copieusement insulté à ce moment. Mais ce n’était pas encore assez pour me remettre à lire l’Archipel. Il a fallu attendre six longues années jusqu'en 2014 pour que je me décide enfin à retenter le coup. Toujours l’été. J’étais chez un ami et en observant sa bibliothèque, j’ai repéré une vieille connaissance, l’Archipel ! J’ai ouvert cette édition qui était différente de la mienne et j’ai commencé à la lire. Près de dix ans après, j’avais avancé dans mes études, tant et si bien que ce livre m’était dorénavant totalement accessible. Je refermai le livre tout en me promettant de retrouver ma propre édition chez moi. A ce moment, je me suis mis à faire des recherches sur internet à propos de l’archipel de Soljenitsyne et j’ai découvert qu’en 2014, on fêtait les 40 ans de la sortie du livre ! Une belle occasion de se mettre dedans. De plus, pour les 40 ans, la veuve de Soljenitsyne a fait éditer une version condensée de l’Archipel, car la jeune génération se lançait de moins en moins dans le livre, parce que trop long, trop compliqué. En lisant cela, j’ai pris comme un véritable défi de lire l’Archipel, la version complète ! Et c’est à ce moment que je m’aperçois que cette version complète fait trois tomes et que je n’ai que les tomes 1 et 3 à la maison. Heureusement, j’ai trouvé le tome 2 assez facilement sur le net en live numérique. C’est ainsi que fin août, je me lançai enfin dans la lecture de l’Archipel du goulag. Pendant que je lisais, je parlais abondamment du livre sur Twitter et c’est ainsi que j’ai découvert qu’un de mes followers, du nom de Daniel Andreyev était le fils de Sacha Andreyev, l’homme qui avait fait passer le manuscrit de l’archipel à l’Ouset. Le monde est petit ! J’ai fini le tome 2 en décembre puis j’ai fait une pause, je me suis gardé le tome 3 pour après mes examens du deuxième semestre. Maintenant, il est temps d’en parler ! L’Archipel du goulag est un livre un peu inclassable. Il s’agit d’un essai d’investigation littéraire selon son auteur. Et en effet, c’est une véritable investigation qui est tantôt naturaliste, tantôt autobiographique, tantôt élégiaque, tantôt poétique, tantôt drolatique, tantôt effrayante. Ce qu’il y a de plus appréciable dans ce livre, c’est le ton sarcastique de l’auteur tinté d’une ironie grinçante qui permet de faire passer plus facilement la description de certaines horreurs. J’ai adoré la manière dont il parlait de Staline, on sentait toujours une grande hostilité dans ses propos mais teintée de beaucoup d’humour et d'ironie. Mais de quoi parle ce livre ? Il parle vraiment de beaucoup de choses mais surtout, il entre dans le détail de comment on entre du goulag et de comment on en sort. Mais pas que, il y a également une réflexion sur la Russie de ce temps, sur l’URSS et les différentes nations qui la composent, il y a aussi une comparaison entre les camps de ce temps et ceux des Tsars, une chroniques de procès staliniens assez célèbres et bien d’autres choses. C’est un livre d’une richesse inestimable. Pour résumer ce qu’est l’Archipel, il faut commencer par savoir qui on y envoie, pourquoi et comment. Dans un premier temps, les prisonniers envoyés au goulag étaient principalement des prisonniers politiques, coffrés sur le fondement du fameux article 58 du code pénal soviétique (Ah cet article 58, une vraie célébrité). Il décrit par la suite l’arrestation dans toutes ses formes, puis l’instruction et enfin la première cellule. Mais on s’aperçoit par la suite qu’un Zek (prisonnier du goulag) ne reste pas en place dans un seul camp mais qu’il est en mouvement perpétuel. Et pour assurer ces nombreux transferts, le goulag est assez inventif dans les moyens de transport, il faut savoir que le moyen le plus utilisé était le train mais avec des wagons particuliers qu’on appelait wagon Zak. Je vous laisse imaginer les conditions déplorables de voyage. Il y a également une réflexion sur le droit en URSS, notamment en matière pénale avec par exemple le principe de rétroactivité de la loi qui est appliqué à des situations alors qu’il ne le devrait pas. Bien entendu, le Goulag regorge de camps de travail où les détenus sont amenés à faire beaucoup de choses, mais finalement, on apprend que la tâche la plus emblématique n’est autre que l'abattage des arbres. Je ne résiste pas à l’envie de partager un extrait avec vous : 

Mais leur mère à tous, c’est notre forêt russe aux troncs d’or (authentiquement,puisqu'on en tire de l’or). Mais le plus ancien de tous les travaux de l’Archipel, c’est l’abattage des arbres. Il appelle tout le monde, il a une place pour tout le monde, il n’est même pas fermé aux invalides (les manchots,on les envoie par équipes de trois tasser la neige haute de cinquante centimètres) […] Cette forêt, cette parure de la terre chantée en vers et en prose, vous allez maintenant la haïr ! C’est avec un tremblement de dégoût que vous pénétrerez sous les voûtes de pins et de bouleaux ! Durant des dizaines d’années vous continuerez à voir, dès que vous fermerez les yeux,les billes de sapin et de tremble que vous traîniez sur votre dos jusqu'au wagon, sur des centaines de mètres, en vous enlisant dans la neige, et vous tombiez, et vous vous accrochiez, craignant de lâcher la bille, sachant qu’il serait vain d’espérer alors la ramasser dans ce bourbier de neige.

Alexandre Soljenitsyne

Il y a encore tellement de choses à dire sur ce livre, les révoltes dans les camps dont nous parle l’auteur dans le tome 3, les évasions, la relégation…C’est une lecture très enrichissante qui m’a énormément apporté. Que ce soit au niveau culturel, en effet, je connais un peu mieux la Russie maintenant, quand j’entends parler des Solovkis, de la Kolyma, du Belomorkanal, ça me parle. Live enrichissant également au niveau historique, politique, idéologique. Soljenistyne est un auteur un peu rejeté par une certaine gauche et idolâtré par une certaine droite. Je pense personnellement que cet auteur est plus universel et qu'on ne peut pas tellement le classer politiquement. Bien entendu, il est conservateur, patriote, il aime profondément la Russie éternelle orthodoxe mais il n'est pas que cela. En grandissant en URSS il a été plus communiste que beaucoup de personnes mais il a pu s'émanciper de cette idéologie parfois rigide. Personnellement, je trouve qu'il est important de le lire soi même pour ne pas être influencé par ce que l'on peut entendre à propos de cet auteur. C’est un témoignage inestimable tant et si bien qu’il m’est très difficile de raconter le bénéfice que j’en ai tiré. En tout cas, c’est l’été, si vous vous ennuyez, lisez-le, vous ne le regretterez pas ! Pour conclure, une autre citation: 

Pour faire le mal, l'homme doit l'avoir auparavant pensé comme un bien ou comme une nécessité comprise et acceptée. Telle est, par bonheur, la nature de l'homme qu'il a besoin de chercher à ses actes une justification.Des justifications, Macbeth n'en avait que de faibles, et c'est pourquoi le remords finit par le tuer. Iago ? un agneau lui aussi. Voyez tous ces scélérats de Shakespeare : leur imagination et leur force intérieure ne vont pas plus loin qu'une dizaine de cadavres : parce qu'ils n'ont pas d’ idéologie.L'idéologie ! C'est elle qui donne au crime sa justification et au scélérat la fermeté durable dont il a besoin. Elle lui fournit la théorie qui lui permet de blanchir ses actes à ses propres yeux comme à ceux des autres et de recueillir, au lieu de reproches et de malédictions, louanges et témoignages de respect. Ainsi a-t-on vu les inquisiteurs s'appuyer sur le christianisme, les conquérants sur la grandeur de leur patrie, les colonisateurs sur l'idée de civilisation, les nazis sur la race, les Jacobins et les bolchéviks sur l'égalité, la fraternité et le bonheur des générations futures.C'est l'Idéologie qui a valu au XXe siècle d'expérimenter le crime à l'échelle de millions d'individus. Des crimes impossibles à récuser, à contourner, à passer sous silence. Comment, après les avoir vus, oserions-nous encore affirmer que les scélérats n'existent pas ? Qui donc aurait alors supprimé ces millions d'hommes? Sans scélérats, il n'y aurait pas eu d'Archipel.

Alexandre Soljenitsyne

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