Retrouvailles enfiévrées entre Gatti et le National dans les symphonies de Schumann
Lors de l'avant concert ce mercredi 1er février 2023, nous avons posé une question au Maestro Daniele Gatti. Pensait-il à son avis que l'Orchestre National de France avait changé depuis son départ du poste de directeur musical en 2016 ? Ce dernier a rétorqué que c'était au public d'apporter la réponse à cette question. Belle pirouette ! Mais d'un autre côté, il n'avait pas tort et l'intégrale des symphonies de Schumann programmée en ce début d'année 2023 était une bonne occasion de confronter l'impression du moment aux souvenirs (assez rares sur ces pages) du chef italien lors de son mandat. Son retour cérébral en 2022 dans Verdi au Théâtre des Champs Elysées avait été plus que convaincant, et pour ce concert, deuxième partie de son intégrale Schumann, étaient au programme les Symphonies n°2 et 4.
La Symphonie n°2 est en réalité chronologiquement la troisième composée par Robert Schumann, en 1845, alors que les premiers signes de la maladie qui allait emporter le compositeur commençaient à se manifester. Et de maladie, il est question dans la correspondance de Schumann avec le chef Georg Otten. Ce dernier avouant qu'il n'a commencé à se sentir mieux que lors de la composition du dernier mouvement, qui ramène effectivement dans la joie dans cette symphonie en do majeur. Et dès le début du premier mouvement noté Sostenuto assai - Allegro ma non troppo, on entend un orchestre équilibré et piquant dans ce thème du Sostenuto assai exposé aux cuivres fiévreux avant que la partie Allegro ne débute. Dans les attaques de cordes, franches et acérées, on sent chez le chef qui dirige sans partition un souci du détail et de la précision. Une battue métronomique dans ce mouvement qui utilise surtout des rythmes agités plutôt que la mélodie. Mais cette agitation est canalisée par le chef qui insiste surtout sur la précision, et la justesse des temps forts, avec des pupitres alertes. Puis tout se libère pour un moment enfiévré. Le deuxième mouvement noté Scherzo, Allegro vivace est toujours dans l'agitation de la maladie avec ce premier thème en arabesque de doubles croches, surtout au niveau du pupitre de cordes. Le tempo très allant fait que la tension ne retombe pas, hormis dans les trios, dont le second est très polyphonique, et qui laisse la part belle à la petite harmonie. Le changement d'ambiance est radical avec le troisième mouvement, noté Adagio. Le phrasé léché des cordes de l'Orchestre National de France fait son effet. Sans vibrato mais avec un cantabile irresstibe, notamment des trilles à faire frémir. Tout cela avant que le hautbois consolateur ne nous réchauffe le coeur dans cet élan de musique romantique. Le Finale enfin est joyeux, mais non dénué d'âpreté. Complexe dans sa construction avec des des oppositions rythmiques fréquentes entre mesure ternaire et mesure binaire. Cependant, Gatti, même sans partition était venu avec un métronome dans sa tête. Le tutti omniprésent n'est jamais pris en défaut d'équilibre et on termine cette première symphonie de la soirée impressionné par l'intelligence de sa construction et par la maîtrise de Daniele Gatti à la tête du National.
La Symphonie n°4 est en réalité la deuxième composée dans l'ordre chronologique, en 1841. Mais elle a été profondément remaniée en 1851 et il s'agit de la version la plus fréquemment jouée. Les quatre mouvements de la symphonie s'enchaînent sans pause. Après la lente introduction du premier mouvement avec un thème en ré mineur, le thème principal de l'Allegro fait brutalement irruption. Obsédant, animé, construit sur une arabesque de doubles croches, il nous fait entrer dans un forme sonate rigoureuse. L'interprétation de Gatti peut se résumer en deux mots, intelligence et intensité. Le fil n'est jamais rompu dans ce flot continu de musique. La justesse des attaques, l'équilibre des plans sonores, des nuances, mais surtout, la fidélité à la forme de cette musique qui est un puit d'idées, sans cesses renouvelées. Le deuxième mouvement commence après un accord abrupt en ré mineur. L'accalmie est brutale, le changement total mais même sans pause, cette transition fonctionne bien. Le tempo est ici large dans cette Romance, le vibrato des cordes amène l'émotion et le chant des bois très mélodique apporte beaucoup de douceur. Le Scherzo est vigoureux et énergique, robuste et Gatti dirige cela de façon virile avec une impulsion solide à chaque temps fort de la mesure. Mais le trio quant à lui contraste par sa légèreté et sa sobriété. Dans le Finale, le thème principal de l'Allegro revient pour notre plus grand plaisir. L'intensité est toujours présente, et dans cette forme sonate libre les ruptures de ton sont à foison et les idées mélodiques, très nombreuses. L'alternance des climats impressionne et le chef les dépeint chacun avec clarté.
Alors, le National a t-il changé depuis 2016 ? Sans doute, mais dans ses retrouvailles avec Daniele Gatti, il a un peu voyagé dans le temps. La rigueur est toujours là et on la connaissait déjà jadis. La fièvre de la passion a été ajoutée, ce qui n'est pas pour déplaire !
Concert disponible à l'écoute pendant un mois sur France Musique
ROBERT SCHUMANN Symphonie n° 2 en ut majeur, op. 61 Symphonie n° 4 en ré mineur, op. 120 ORCHESTRE NATIONAL DE FRANCE DANIELE GATTI direction |
Superbe Symphonie n°2 de Schumann par le @nationaldefce dirigé par Daniele Gatti. Pleine de tension et d’équilibre. Un adagio beau à en pleurer, un scherzo agité avec des cordes basses vibrantes. Et un finale enfin grandiose ! pic.twitter.com/dBP6S5d359
— Andika (@Nyantho) February 1, 2023
De retour à la @Maisondelaradio pour une Intégrale #Schumann avec le @nationaldefce, #Gatti nous raconte une histoire passionnante bourrée d’intelligence de contrastes et de phrasées dans les Symphonies 2 et 4!
— Vincent Guillemin (@vtguillemin) February 1, 2023
Article pour @AltamusicaMag ✍️ pic.twitter.com/GpmLjzSfpV
Une 4ème de Schumann énergique, virile et précise ! Des ruptures de tons toujours reversantes. Un équilibre des plans sonores merveilleux, et une inutilité d’idée de compositions qui n’en finissent pas d’égayer les oreilles. Gatti livre une lecture enthousiaste @nationaldefce pic.twitter.com/DnBIEdHkv4
— Andika (@Nyantho) February 1, 2023