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Publié par andika

Nous guettons sur ces pages chaque apparition du chef ouzbek, Aziz Shokhakimov à Paris. Nous avions assisté à ses débuts dans la capitale en 2019 avec grand plaisir. Nous étions présent l'année dernière pour son retour devant le public parisien à la Maison de la Radio et de la Musique dans une tempétueuse 4ème de Tchaikovski. Depuis 2021, ce chef habite dans notre pays, à Strasbourg où il est le directeur de l'orchestre municipal qui a pris depuis quelques temps déjà, le nom de Orchestre Philharmonique de Strasbourg, serti du label Orchestre National pour bien en souligner le prestige. Mais cette fois-ci, pas de compositeur russe pour ce chef né en ex URSS, mais rien de moins que la Symphonie n°3 de Gustav Mahler. Célèbre compositeur autrichien mais aussi chef d'orchestre, de son temps, à qui il était arrivé justement de diriger l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg qui est en activité depuis 1855.

Aziz Shokhakimov dirige la Troisième Symphonie de Mahler (© Nicolas Roses)

Aziz Shokhakimov dirige la Troisième Symphonie de Mahler (© Nicolas Roses)

Mahler disait à son ami Bruno Walter, au sujet de sa troisième dans son lieu de villégiature à la montage, Steinbach-am-Atterse où il la composa: "Inutile de regarder le paysage, il a passé tout entier dans ma symphonie."

Et c'est cette tâche à laquelle doit s'atteler tout chef qui s'attaque à cette partition, décrire un monde tout entier tant les dimensions de cette symphonie sont gigantesques. D'une durée de 1h30 en moyenne, il s'agit d'une des plus longues symphonies du répertoire. Mais cette tâche n'est pas trop ardue pour Aziz Shokhakimov dont l'enthousiasme et l'énergie peuvent venir à bout de tout. Nous l'avions surtout pratiqué dans le répertoire russe, nous le retrouvons maintenant avec Mahler. Mais Mahler est un nom lié à sa carrière. En effet, ce dernier a remporté le Deuxième prix du prestigieux Concours international de direction d’orchestre Gustav Mahler, à Bamberg en 2010. 

Et dès les premières notes du thème du premier mouvement énoncé par huit cors, nous savons d'ores et déjà que nous serons entre de bonnes mains. Cet éveil du monde, noté Kräftig. Entschieden (Avec force. Décidé) ne déçoit pas. Dès les première mesures, l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg sonne nerveux, intense. Les cuivres énergiques singent la création. Et le chef plein de fougue dirige avec précision, passion, coeur, de tout son corps, ne laissant jamais retomber la pression. Chaque départ est donné avec précision et cela se ressent dans la qualité des attaques où chaque pupitre mord avec enthousiasme dans la partition (notamment les cordes). Mais Aziz Shokhakimov, ce n'est pas seulement la jeunesse, ce n'est pas seulement l'énergie ou la force, bien au contraire. Ce chef se révèle ici par son sens de l'architecture, de la construction et par sa maturité. De la façon paisible et sobre de faire sonner la petite harmonie où les solistes ne cherchent pas à tirer la couverture, à cette manière de toujours trouver de la justesse dans les nuances et les dynamiques. A notre connaissance, il s'agit du premier concert de ce chef dans la Grande Salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris, et pourtant, il en maitrise déjà toutes les possibilités, avec une grande intelligence. Dans sa capacité faire sonner les tuttis démiurges de ce mouvement sans faire saturer la salle, à la construction méticuleuse du crescendo dans la marche. Prouesse renouvelée dans la réexposition qui parvient à toujours capter l'auditeur après pourtant une longue audition tant l'énergie et l'engagement du chef sont constants. Dans ce tunnel de musique, jamais aucun relâchement, jamais aucune facilité. Une constance dans l'excellence et la précision qui se renouvellent dans le deuxième mouvement, consacré aux fleurs des champs. Ce premier scherzo expose une fois de plus la qualité du pupitre de bois de l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg. Mais ce qui étonne, c'est cet ordonnancement parfait des choses, cet équilibre des plans sonores qui laisse place à une émotion intense dans cette célébration de la nature, qui se poursuit lors du second scherzo, "Ce que me content les animaux de la forêt". La pulsation du chef est ici très dynamique, les cordes sont très légères et douces et l'ensemble est clair et cohérent. Les bois restent très sobres, privilégiant toujours le collectif, hormis le cor de postillon, dans la coulisse qui illumine l'ensemble de son élégance et de sa majesté. A l'issue de ce mouvement, l'orchestre prend le temps de se raccorder après déjà tant de musique. Et voici maintenant la mezzo-soprano Anna Kissjudit qui arrive sur la scène afin de chanter les paroles du quatrième mouvement issu d'Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche. Le timbre est froid et grave. Le chant est de nouveau dans le registre de la sobriété comme le reste de cette interprétation. Où comment avec peu d'effets, mais dosés de façon efficace, on parvient au but. La projection est de la force suffisante pour capter l'auditeur. La diction est précise sans aller dans l'excès. La petite harmonie qui l'accompagne, plus précisément les hautbois et cor anglais persistent dans la sobriété afin de nous démontrer que le monde est vraiment profond, comme l'affirme le texte. Le Choeur des femmes et celui des enfants de l'Orchestre de Paris persiste dans cette veine de la sobriété dans le cinquième mouvement où ils chantent sur les paroles de Des Knaben Wunderhorn. Enfin, le Finale, en ré majeur, Ce que me conte l'amour, célèbre Adagio où l'orchestre reprend ses droits. Et Aziz Shokhakimov a gardé le meilleur pour la fin. La vigueur des cordes est ici renouvelée mais sans jamais tomber dans l'excès d'emphase (point trop de vibrato, point trop d'épanchement langoureux). Les vents se libèrent et chantent amoureusement, les transitions sont impeccables et le chef se permet même un rubato du plus bel effet, ajoutant sensualité et saveur à ce mouvement qui n'en manque pourtant pas. Ainsi, la dernière note n'avait pas encore eu le temps de mourir que le public applaudissait déjà !

Aziz Shokhakimov livre une interprétation maitrisée de bout en bout de la Symphonie n°3 de Mahler à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg. Tour à tour énergique, réflexive, sensuelle, profonde et grave. Un chef à l'intelligence rare et à la réflexion profonde dans ses choix d'interprétation. Un concert qui fera date, une fois de plus. Paris aime Aziz Shokhakimov et il nous le rend bien. Puisse ce chef rester en France encore pendant de longues années. Et surtout, qu'il revienne encore souvent à Paris enchanter la capitale. 

Programme du concert du 20 janvier 2023 à la Philharmonie
Gustav Mahler
Symphonie n°3 en ré mineur
 
Orchestre philharmonique de Strasbourg
Chœur de femmes de l'Orchestre de Paris
Chœur d'enfants de l'Orchestre de Paris
Aziz Shokhakimov , direction
Anna Kissjudit , mezzo-soprano
Ingrid Roose , cheffe de chœur
Rémi Aguirre Zubiri , chef de chœur associé
Edwin Baudo , chef de chœur associé
Désirée Pannetier , cheffe de chœur associée
Béatrice Warcollier , cheffe de chœur associée

 

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