Aziz Shokhakimov en fusion à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Radio France dans Chostakovitch
Mercredi 6 mars 2019 était prévu à la Maison de la Radio un premier concert faisant partie d'un diptyque ayant pour objectif de célébrer les 80 ans du chef russe, Yuri Temirkanov. Pour le concert du 6 mars, le programme de l'Orchestre Philharmonique de Radio France était entièrement consacré au compositeur russe Dmitri Chostakovitch, avec tout d'abord son Concerto no 1 pour piano, trompette et orchestre à cordes, en ut mineur, op. 35 puis sa Symphonie no 10 en mi mineur, op. 93. Toutefois, Temirkanov a du déclarer forfait pour raison de santé, il a alors été remplacé au pied levé par le chef ouzbek Aziz Shokhakimov qui faisait à cette occasion ses débuts à Paris. Et quels débuts ! On a donc troqué l'expérience d'un vénérable octogénaire avec la fougue d'un jeune trentenaire. Né en 1988 dans ce qui était encore à l'époque l'URSS, Shokhakimov connait son Chostakovitch. Ainsi, le programme est resté inchangé. Ainsi, pour le concerto, le pianiste Andreï Korobeinikov et le trompettiste Alexandre Baty étaient toujours de la partie.
Le concerto pour piano et trompette de Chostakovitch a été composé lors d'une période féconde pour la création en URSS. Il s'agissait de poser les jalons d'un nouvel art, en adéquation avec l'idée de la Révolution. L'audace était encore encouragée et cette partition ne s'en prive pas. Entre recueillement et fougue, humour débridé et virtuosité, cette musique ne cesse de susciter l'intérêt. Dans l'Allegretto initial, orchestre et pianistes sont sur la même longueur d'onde. Korobeinikov est bondissant, clair, joueur et en fusion avec l'orchestre qui est tout aussi bondissant, évoluant dans une direction claire, alerte. Les interventions de Baty à la trompette étants comme des respirations. Le mouvement suivant, Lento, impressionne. L'usage du vibrato aux cordes produit un très bel effet, le phrasé est soigné, et la lenteur du tempo ne fait à aucun moment baisser l'intérêt de cette musique, tant le chef demeure continuellement actif dans ses idées et sa conduite. Une solennité ponctuée par un remarquable solo de trompette. Le troisième mouvement, Moderato, est bref. Il s'illustre par une belle cadence du soliste. Le Finale, Allegro con brio, est une sorte de pyrotechnie musicale. Tout y passe, des arpèges diaboliques au piano, du glissando, du col lengo aux cordes. Des passages plus jubilatoires les uns que les autres qui requièrent une grande habileté des musiciens. Les attaques des cordes sont mordantes et s'instaure alors une sorte de course effrénée entre les solistes et l'orchestre. Cette musique a un petit air ironique et grotesque cher à Chostakovitch, surtout lorsque le piano va vers les aigus. Et il en va carrément de la farce lorsque le piano s'amuse à répondre à la trompette. Une fin grandiose dans une fusion de chaque protagoniste. S'en suit une ovation bien méritée et un bis salvateur reprenant le final du concerto pour notre plus grand plaisir !
Après l'entracte et le changement de plateau, place maintenant à la Symphonie n°10 qui est une des plus populaires du compositeur. Composée en 1953, peu après la mort de Staline, elle représente quelque peu la libération de Chostakovitch. En effet, il n'était pas revenu à la forme symphonique depuis 1945 et sa 9ème qui avait déplu au pouvoir politique. On a souvent pour l'habitude de dire que le deuxième mouvement de la dixième fait le portrait de Staline et que globalement, Chostakovitch y règle ses comptes avec ce dernier. Pied de nez du survivant face au bourreau. Elle commence dans le registre grave pour finir dans un univers plus lumineux. Le premier mouvement, noté Moderato commence comme une lente procession. Le thème est joué dans le registre grave, aux violoncelles et contrebasses. Et malgré cette gravité, Shokhakimov fait chanter l'orchestre, avec un phrasé réfléchi démontrant une vision globale de l'oeuvre. On sent une puissance tangible mais contenue. L'équilibre entre les pupitres est saisissant, les cordes graves cohabitants sans mal avec les violons. La clarinette lunaire de Nicolas Baldeyrou renforce cette ambiance sombre. Ambiance corroborée une fois de plus par un solo de flûte de Thomas Prévost dans un registre encore grave, étonnant pour cet instrument. Mais cette gravité contraste avec la rage qui est déployée dans ce même mouvement, lorsque les cuivres entrent en jeu et jettent le feu avec de superbes cors et trombones, ainsi que les percussions avec ces timbales et cette effrayante caisse claire. La stridence du picolo solo de Nels Lindeblad, ainsi que celle des trompettes et des hautbois, cohabitent avec la sobriété initiale. En près d'une demi heure, Shokhakimov construit patiemment une grande fresque où le son est modelé à sa guise. L'ouvrage est poursuivi dans l'Allegro, musclé, bondissant, ironique, moqueur. Malgré un tempo très rapide, les différents plans sonores coexistent paisiblement. Les cuivres récitent cruellement leurs notes, puis les cordes qui les récupèrent habilement en allégeant l'ensemble. De quoi être scotché à son siège. Dans le troisième mouvement, Allegretto, une énergie considérable traverse l'orchestre. Le thème DSCH (ré mi b do si) fait son apparition au picolo pour être repris à plusieurs reprises dans un tourbillon d'espièglerie. Une atmosphère bizarre de fête s'instaure jusqu'au solo de violon d'Hélène Collerette qui annonce une fin de mouvement où le silence apparait lentement, tandis que la musique disparait. Un moment de grâce. Et une superbe transition pour le dernier mouvement, Andante-Allegro, qui renoue avec les textures graves du début. Gravité qui s'exprime également dans un sublime solo de hautbois de Hélène Devilleneuve. Les choses se mettent en place tranquillement, puis le final allegro est de nouveau enlevé, avec une grande force, notamment aux cuivres, le chef donnant tout sur son pupitre.
Une interprétation pleine de musicalité et de bonnes idées de la part du jeune Aziz Shokhakimov qui a triomphé pour sa première parisienne. Une ovation bien méritée pour ce chef dynamique à qui s'ouvre une belle carrière. Ce jeune homme est à suivre !
Concert diffusé le 11 avril 2019 sur France Musique.
Évidemment que ça se bis le final du concerto pour piano et trompette de Chostakovitch ! Excellents Andreï Korobeinikov au piano et Alexandre Baty à la trompette ! Quant au chef Aziz Shokhakimov, comme on dit, aux hommes biens nés, la valeur n’attend point le nombre des années. pic.twitter.com/jSnS93lVOt
— Andika 🇫🇷⭐️⭐️ (@Nyantho) March 6, 2019
Je crois que Aziz Shokhakimov a mangé du lion ! Il a galvanisé le @PhilharRF dans une incroyable symphonie n•10 de Chostakovitch ce soir à la @Maisondelaradio ! Soufflé ! pic.twitter.com/CoMPN0PJdI
— Andika 🇫🇷⭐️⭐️ (@Nyantho) March 6, 2019
1er concert parisien du chef Aziz Shokhakimov sous un tonnerre d'applaudissements dans un programme 100% Chostakovitch à écouter le 11 avril sur @francemusique @radiofrance pic.twitter.com/73LrVLokj0
— PhilharRF (@PhilharRF) March 6, 2019
Si tous les chefs pouvaient diriger la musique de Chostakovitch comme Aziz Shokhakimov l’a fait de manière remarquable ce soir, je serai très heureuse. pic.twitter.com/VkC2zAXVOo
— Frederique Reibell (@FredReibell) March 6, 2019
Aziz Shokhakimov
— PhilharRF (@PhilharRF) March 6, 2019
Andreï Korobeinikov
Alexandre Baty
Pour le Concerto pour piano, trompette et cordes
Et un bis de l'Allegro concert brio pic.twitter.com/PMlZjaDaHk
J’ai pété une durite ce soir. Me voici au concert du @PhilharRF au lieu d’être devant la télé à la maison pour regarder PSG-Man U ! Mais bon, Chosta 10 quoi. Et il aimait le foot lui aussi ! pic.twitter.com/axI6bKHlMr
— Andika 🇫🇷⭐️⭐️ (@Nyantho) March 6, 2019