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Publié par andika

En cette période hivernale, rien de tel que d'aller à la Philharmonie de Paris pour se réchauffer un peu. D'autant plus lorsque l'Orchestre de Paris nous concocte un programme tumultueux pour commencer 2023 de façon vigoureuse. Avec tout d'abord le rare Concerto pour piano n°2 de Tchaïkovski, interprété par le pianiste français, Alexandre Kantorow, lauréat du Concours Tchaïkovski à Moscou, en 2019, notamment grâce à cette partition. Après l'entracte, la ténébreuse Symphonie n°4 de Dmitri Chostakovitch, composée entre 1934 et 1936 durant la terreur stalinienne en URSS. L'Orchestre de Paris étant placé sous la direction du finlandais Jukka-Pekka Saraste pour l'occasion de ce concert du jeudi 12 janvier 2023.

Jukka-Pekka Saraste et Alexandre Kantorow (© Sandrine Expilly)

Jukka-Pekka Saraste et Alexandre Kantorow (© Sandrine Expilly)

Le Concerto pour piano n°2 de Tchaikovski est moins connu et moins aimé que son prédécesseur. Parsemé de longueurs et de difficultés, c'est une oeuvre qui se cherche un peu et déroute l'auditeur. Une chose est certaine, sans un soliste prêt à la défendre bec et ongle, elle peut rapidement devenir problématique. Le compositeur ayant même eu l'ambition de remanier la partition dans les dernières années de sa vie, projet finalement réalisé par Alexandre Ziloti. Mais la proposition ne fut pas du goût de Tchaikovski, et c'est bien la version originale qui est le plus souvent jouée, notamment lors de ce concert. Dans le premier mouvement noté Allegro brillante, le premier thème fait d'accords brillants est pris de façon très énergique par l'orchestre dont Saraste obtient un son dense et très dynamique. Alexandre Kantorow reprend ce thème de façon très claire et précise. Son jeu est fluide et il donne une étonnante impression de facilité à l'entendre. Chaque choix d'interprétation semble être une évidence et on ressent une connaissance intime de l'œuvre chez le soliste. Son toucher se savoure. Sa technique impressionne dans l'utilisation de l'alternance des deux mains. La cadence soignée, limpide lui fait enfin exposer un staccato savoureux. Le deuxième mouvement noté Andante est un moment étonnant où le violon solo Eiichi Chijiiwa et le violoncelle solo Eric Picard, se démarquent de l'orchestre pour un moment intimiste et chambrette avec le soliste. Alexandre Kantorow est ici délicat et précis dans les nuances ainsi que dans l'écoute des cordes qui lui volent parfois la vedette. Enfin, le dernier mouvement Allegro con fuoco est festif, éruptif, pyrotechnique. L'Orchestre de Paris donne ici sa pleine mesure avec un chef qui leur lâche la bride. Dans ces pages périlleuse, Kantorow se joue des difficulté et conserve une clarté de son phrasé absolument admirable, dans un dialogue très fécond avec l'orchestre. Une ouverte hétérogène qui souffre de longueurs, mais défendu comme cela par un pianiste héroïque, le Concerto pour piano n°2 de Tchaïkovski procure aussi du plaisir à l'auditeur ! Alexandre Kantorow revient par la suite non pas pour un mais deux bis avec tout d'abord la Valse triste du compositeur et violoniste hongrois, Franz von Vecsey dans une transcription pour piano du fabuleux Georges Cziffra et enfin, un sublime Vers la flamme, op.72 d'Alexandre Scriabine.

25 années se sont écoulées entre l'achèvement de la partition de la Symphonie n°4 en ut mineur op 43 de Chostakovitch et sa création en 1961 à Moscou, par l'Orchestre Philharmonique de Moscou sous a direction de Kirill Kondrachine, qui fit par la suite entrer cette symphonie au répertoire de l'Orchestre de Paris en 1980. Symphonie complexe, très richement orchestrée, loin des standards du réalisme socialiste qui avait cour dans l'art soviétique. Elle se serait immanquablement faite accuser de formalisme dans les années 1930. Et après la controverse sur son opéra Lady Macbeth, Chostakovitch ne pouvait pas se permettre un autre écart. Construite en trois mouvements, cette symphonie fait souvent penser à Mahler, que Chostakovitch admirait, et s'est donné pour mission de dépasser avec cette partition. Le premier mouvement noté Allegro poco moderato est construit sur l'alternance entre la masse orchestrale et les interventions de petits groupes d'instruments, dans un climat souvent âpre. Le mouvement commence de façon violente et abrupte, et immédiatement, Saraste fait sonner l'Orchestre de Paris de façon tonitruante, nerveuse, tendue, avec un tempo très vigoureux. Il ne préconise aucune retenus aux cuivres et aux percussions, bien au contraire. Les cordes sont denses, les tuttis impressionnants et la masse orchestrale a fière allure. Tout le fracas et le tumulte de ce mouvement sont rendus au centime près, les dissonances interpellent l'oreille. Cependant, des passages plus calmes sont aussi à relever, où la petite harmonie de l'Orchestre de Paris démontre une fois de plus son très haut niveau. De la flûte de Vincent Lucas, aux hautbois, bassons, et clarinettes. Enfin, le passage presto, large fugato aux cordes est très soigné, Saraste mettant en valeur la belle polyphonie dans un tempo pourtant haletant. Le chef dans ce mouvement n'atténue en rien le caractère revêche de cette musique , notamment en n'hésitant pas à monter le volume lorsque la nuance forte fait son apparition. L'accalmie du deuxième mouvement devient alors une nécessité. Noté Moderato con moto, il s'agit d'un scherzo faisant un peu penser à Mahler. Encore ici, de l'alternance, mais entre les cordes et les vents. Le tempo est une nouvelle fois assez vigoureux. Après l'énoncé du thème aux cordes, l'intervention de la petite harmonie démontre une fois de plus la qualité de ce pupitre de l'Orchestre de Paris. Des sonorités piquantes, joueuses, ironiques et espiègles se font entendre dans des rencontres harmoniques acides. Mais cette ironie n'est que de courte durée tant la fugue qui charpente ce mouvement est étouffante. Saraste obtient une fois de plus une polyphonie très claire où chaque voix se détache distinctement. Construite avec le premier thème comme sujet, elle aboutit à un temps de force des vents qui pour le coup a manqué un peu d'intensité. Moment clef pourtant rapidement oublié tant la fin mystérieuse du mouvement avec les coups légers castagnette et de tambour ramène l'ensemble sur la note de l'humour. Le Finale enfin, noté Largo-Allegro est deux mouvement en un. Le passage Largo, sorte de marche funèbre parodique, que ne renierait pas Mahler, vaut encore une fois de plus par la qualité des vents, dont le basson qui déclame ici le thème avec toute la lamentation et la dérision dont il est capable. La montée crescendo jusqu'à un fortissimo strident est un passage jouissif que le chef réussit bien. Notamment grâce aux trombones qui secouent la grande salle de la philharmonie. Et c'est déjà l'Allegro qui fait irruption. Mouvement sans doute le plus humoristique (solos de clarinette, basson, trombone !!). Mais une fois de plus marqué par l'alternance entre la légèreté et la gravité. L'humour et l'effroi. Le fracas et l'intime. Un tumulte de l'esprit du compositeur qui rejaillit dans la partition, et qui a été bien retranscrit dans l'interprétation de Saraste. Une symphonie riche, dont on ne se lasse pas. Car le célesta pose à la fin une question dont on cherche encore la réponse.

Programme du concert du 12 janvier 2023 à la philharmonie

Piotr Ilitch Tchaïkovski

Concerto pour piano n° 2

Dmitri Chostakovitch

Symphonie n° 4 

Orchestre de Paris

Jukka-Pekka Saraste, direction

Alexandre Kantorow, piano

 

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