Le travail de la voix par Barbara Hannigan
Barbara Hannigan faisait son retour à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Radio France le jeudi 7 avril dernier à l'Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique dans un programme mettant en avant la musique vocale. La cheffe et soprano canadienne interprétant tout d'abord Stojala ja i slukhala vesnu / J’étais debout et j’écoutais le printemps du compositeur ukrainien Kyrilo Stetsenko, en hommage à la résistance et aux victimes de ce peuple. Après cela, le Concerto pour violon et orchestre "A la mémoire d'un ange" d'Alban Berg, interprété par Christian Tetzlaff. Avant de donner enfin, le Requiem de Mozart. Enfin, car, cette œuvre devait être jouée au printemps 2020 déjà, mais le concert avait été annulé pour la raison que l'on sait. Ainsi, c'était un beau signe de résilience de retrouver sur la scène le Chœur de Radio France accompagné de la soprano Johanna Wallroth, de la mezzo Adanya Dunn, du ténor Charles Sy et de la basse Yannis François.
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Ce concert est également l'occasion pour Babrara Hannigan d'étrenner son nouveau statut de première artiste invitée de l'Orchestre Philharmonique de Radio France. Ce qui la conduira au cours des trois prochaines saisons à proposer des programmes originaux à la tête de la phalange du bord de Seine. Et pour inaugurer cette nouvelle collaboration, un choix très personnel de sa pat. Par solidarité avec le peuple ukrainien, à la place de Djamila Boupacha de Luigi Nono, préalablement annoncé au programme, elle a opté pour Stojala ja i slukhala vesnu. Le compositeur Kyrilo Stetsenko a mis en musique un poème de la poétesse Lessia Oukraïnka, très attachée à sa terre natale d'Ukraine. La musique, profite de la projection remarquable de Barbara Hannigan, et d'effets stéréophoniques intéressants qui immergent l'auditeur (une seconde voix en coulisse). Le chant, d'une intensité jamais relâchée produit l'émotion sans aucun mal, malgré la modestie des moyens employés, à savoir le chant a capella.
Le Concerto pour violon d'Alban Berg est une de ses œuvres les plus connues. Composé initialement à la demande du violoniste Louis Krasner qui souhaitait confronter les capacités de son instrument au dodécaphonisme. Par la suite, la disparition de Manon Gropius, fille d'Alma (ex Mahler) et Walter Gropius, que le compositeur appréciait beaucoup, le décida définitivement à entreprendre l'ouvrage et à le lui dédier lors du printemps 1935. Malheureusement, le compositeur trouvera la mort avant la création de sa partition en 1936. Le concerto est divisé en deux mouvements, qui chacun peuvent être divisés de nouveau en deux. L'introduction du premier mouvement noté Andante-Allegretto est une série dodécaphonique avant que l'Andante ne se déploie. L'ambiance est douce, Christian Tetzlaff est éloquent avec son violon et fait sonner ses cordes avec vigueur. Le ton de l'orchestre est un peu interrogateur. Une dualité nait entre le portrait qui est fait de Marion, et les charmes exquis vus à travers un voile dans la partie notée Pocco gracioso d'après Mosco Garner. La direction de Barbara Hannigan est aérée, précise et laisse s'épanouir le texte. On apprécie une partie un peu dansante contenue dans l'Allegretto. Les triples cordes du violon, sur un rythme de valse, font apparaître une gaité exubérante assez étonnante. Le deuxième mouvement, noté Allegro commence dans la tension. Cependant, les attaques des pupitres à l'orchestre ne sont pas brutales et on conserve une cohérence par rapport à ce qui a été proposé précédemment. Barbara Hannigan propose une direction subtile et équilibrée malgré le déluge de cuivres et de percussions. Rien n'est cédé au dramatisme et à la brutalité. Au contraire, tout ce qu'il y a de rude est intériorisé, l'énergie de la cheffe ne se disperse pas. De sorte que l'accalmie de la partie Adagio du final intervient le plus naturellement du monde. La longue tenue qui conclut la partition suspend ainsi tout ce qui a été éprouvé précédemment et permet de redescendre sereinement. En bis, Christian Tetzlaff propose une sarabande de Bach où il fait chanter son violon avec des nuances merveilleuses et un vibrato délicieux.
Après l'entracte, rien de moins que le Requiem de Mozart. Sans doute l'œuvre du répertoire classique la plus célèbre, elle n'en recèle pas moins de nombreux mystères. Notamment à cause du contexte de sa création. Un commanditaire anonyme, un Mozart qui décède avant d'avoir terminé son chef d'œuvre. Un ou plusieurs disciples qui achèvent la messe, sans qu'on ne sache bien qui a fait quoi entre Süssmayr et Eybler. Et pourtant, on ne peut qu'aimer cette œuvre imparfaite car là est sa légende. Ce qui frappe d'emblée dans l'interprétation de Barbara Hannigan, c'est l'attention portée aux voix du Choeur de Radio France. Dans sa façon de diriger, pas de doute, nous savons que nous avons affaire à une chanteuse. Les contrastes dynamiques sont précis, pensés jusqu'au moindre détail. Le spectre des nuances aux voix est très élargi. La polyphonie est exemplaire, et ce, dès le Kyrie (mais aussi dans le Rex Tremendae) à la célèbre fugue. La mesure est traitée avec le sens du temps fort mais aussi du mot fort, ce qui s'entend clairement dans le Dies Irae et le Confutatis. Les solistes de leur côté ont chacun été remarquables et fort à propos dans le contexte de la musique sacrée. Tout ce qu'il fallait de sobriété et de ferveur pour un texte religieux. La soprano Johanna Wallroth, faisant valoir toute la richesse et la beauté de son timbre dans l'Introitus, le ténor Charles Sy prenant la lumière dans le Tuba Mirum avec force convictions et émotions. Dans cette même partie, la mezzo Adanya Dunn reprenant la balle au bond de façon exquise. La basse Yannis François se démarque enfin dans le Benedictus où les solistes sont mis en avant, avec son timbre sombre, et sa présence sereine tout en étant très charismatique. L'Orchestre Philharmonique de Radio France, accompagne le Chœur et les solistes avec beaucoup de précision et d'engagement dans cette partition riche, où on apprécie le timbre singulier du cor de basset. En outre, la présence du petit orgue n'est absolument pas anecdotique au concert et permet d'accentuer les basses. En conclusion, une interprétation remarquable, très personnelle tout en étant très fidèle à l'idée que l'on peut se faire de ce que doit être un Requiem de Mozart. Pleine de vigueur et d'énergie, d'intelligence et d'enthousiasme. Et surtout, d'éthique dans le travail de la voix.
Concert disponible à l'écoute sur France Musique
KYRYLO STETSENKO Stojala ja i slukhala vesnu / J’étais debout et j’écoutais le printemps ALBAN BERG Concerto pour violon et orchestre « à la mémoire d’un ange » WOLFGANG AMADEUS MOZART Requiem CHRISTIAN TETZLAFF violon JOHANNA WALLROTH soprano ADANYA DUNN mezzo-soprano CHARLES SY ténor YANNIS FRANÇOIS basse CHŒUR DE RADIO FRANCE MARIA FORSSTRÖM chef de chœur ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE RADIO FRANCE BARBARA HANNIGAN soprano et direction |
Un sublime requiem partagé avec nos cercles de mécènes autour de la « première artiste invitée » de l’orchestre philharmonique de radio france @barbarahannigan @PhilharRF @orange @Maisondelaradio @radiofrance @fondation_M_R pic.twitter.com/ei9Jd5bQai
— Caroline Ryan (@Caroline_S_Ryan) April 7, 2022
Un requiem de Mozart magistralement dirigé par la très grande @HanniganBarbara à la @Maisondelaradio @PhilharRF pic.twitter.com/T7WSFu6JxN
— Agnès HARDY SARAH (@sarahagnes2) April 7, 2022
Bravo @HanniganBarbara pour ce Magnifique Requiem de Mozart! Hâte de vous retrouver pour de nouveaux concerts qui nous transportent comme ce soir. pic.twitter.com/L6aqQol1Qi
— Sibyle Veil (@SibyleVeil) April 7, 2022
Sublime et intense Requiem de Mozart dirigé par Barbara Hannigan à la tête du @PhilharRF et du @ChoeurRF ! Un travail phénoménal sur les voix devenues un instrument de très grande provision entre les mains de la soprano ! Interprétation subtile et enlevée ! pic.twitter.com/9ClRPJzX7T
— Andika (@Nyantho) April 7, 2022
Énergie de Barbara Hannigan dirigeant le Requiem de Mozart. Une grande cheffe dans une belle salle face à une œuvre immense. pic.twitter.com/dYsTxYKY0t
— Natalie Rastoin (@NatalieRastoin) April 8, 2022