Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Pages

Publié par andika

Le rendez-vous du vendredi 26 novembre 2021 avec l'Orchestre Philharmonique de Radio France à l'auditorium de la Maison de la radio et de la musique, était différent de l'habituel. Au niveau de l'horaire tout d'abord, 20h45 au lieu de 20h, tant les formations musicales de la maison ont été mise à contribution lors de la journée. Mais surtout parce que ce concert s'inscrivait dans le cadre du Festival d'automne 2021, qui programme régulièrement des représentations à Radio France. Et en cette nuit d'automne, quoi de mieux que la Symphonie n°7 de Mahler, surnommée le Chant de nuit ? Mais avant cela, en poursuivant sur le thème de la saison du Philhar', à savoir inviter des compositeurs diriger leurs propres œuvres, nous avons eu droit à la création française de Neharot, de Matthias Pintscher, également à la direction pour le concert.

Afficher du concert

Matthias Pintscher n'est pas un inconnu pour le public parisien. En effet, il est le directeur musical de l'Ensemble intercontemporain, fondé par Pierre Boulez et en résidence à la Philharmonie de Paris. Et comme son nom l'indique, cet orchestre est spécialisé dans la musique contemporaine. Pas étonnant alors, qu'un compositeur le dirige. Neharot (commandé entre autre par Radio France), est une œuvre de son temps. C'est à dire d'aujourd'hui, dans la mesure où elle a été composée en 2020, à New-York, au mois de mars. Neharot en hébreux désigne à la fois les rivières et les larmes. Pour les larmes, depuis deux ans, l'inspiration n'est pas compliquée à trouver au gré de la pandémie. Pour les rivières, l'inspiration est à rechercher au niveau de la cathédrale de Chartres, édifiée sur l'intersection de plusieurs rivières souterraines. L'idée ici est donc l'eau qui s'écoule. Et pour l'évoquer, Matthias Pintscher convoque un très grand orchestre. Et dès le début, on fait face à une musique très sensorielle qui ne va pas alerter seulement notre ouïe. Les accents venus des deux harpes donnent l'élan sur lequel le halo de l'orchestre va commencer à envelopper le grand auditorium. Les nombreuses ruptures de tons et la diversité des percussions, amènent une richesse qui ne cesse de capter l'attention. La direction habitée et vigoureuse voire agressive du chef impressionne dans les moments de grande tension. Mais il sait aussi alléger l'ensemble, sans baguette, dans les passages plus mélodiques, où on apprécie notamment un beau solo de hautbois. Le climax avec le xylophone et le piano (qu'on retrouve dans des registres étonnant) est un moment de libération. Neharot est une oeuvre qui prend l'auditeur aux tripes et ne le lâche pas.

En deuxième partie, une partition encore mystérieuse, plus d'un siècle après sa création. La Symphonie n°7 en si mineur de Gustav Mahler n'est pas la plus jouée de compositeur et pourtant, elle est sans doute celle qui se renouvelle le plus à chaque écoute tant elle sort des canons habituels. C'est une énigme. De tonalité de si mineur, elle va moduler pour s'achever sur un do majeur festif, que certains voient comme étant caricatural. Divisée en cinq mouvement, son cœur est bien entendu les deux Nachtmusik (qui lui donnent son titre), qui entourent le troisième mouvement noté, Schattenhaft (comme une danse des ombres). Les premiers et derniers mouvements étant des allegros. Ce qui inscrit cette symphonie parfaitement dans ce programme, c'est son ambivalence entre romantisme et modernité. Ce qui frappe en premier, c'est que cette 7ème de Mahler sonne différemment de celle entendue avec l'Orchestre de Paris en 2019, où l'Orchestre National de Lille quelques mois plus tard. ! Ici, Matthias Pintscher (avec une baguette cette fois-ci) propose une lecture fougueuse de la partition, pleine d'énergie. Jamais un seul moment de répit sur son pupitre. Le chef dirige le tout à l'énergie, de la flexibilité du tempo au phrasé caractérisé, avec les bons accents sur le bon temps de la mesure, et enfin, des coups d'archets net et précis aux cordes, menées par le premier violon super solo, Ji-Yoon Park. Le premier mouvement est pris de façon assez virile et dynamique, dès les premières mesures, pourtant lentes. Les tenorhorn brillent et la patte orchestrale impressionne. Dans cette écriture un peut particulière, aux intervalles de quartes omniprésents, on apprécie la mise en valeur de l'orchestration dont le chef fait ressortir des sons particuliers. Notamment les cordes basses qui récupèrent le premier thème avec gourmandise à la réexposition. Dans la première Nachtmusik, la petite harmonie brille. L'ambiance s'allège et s'adoucit (jeu sur les registres des instruments, piziccatos aux cordes, nuances piano). Le contrechant constant des violoncelles est mis en valeur, et le phrasé des cordes est soigné, notamment dans le passage en col lengo très paisible. Le rythme de la marche militaire est ici atténué pour rendre l'ensemble plus comme une balade de nuit paisible. Selon le chef d'Orchestre Willem Mengelberg, ce mouvement aurait été inspiré à Mahler par la toile Ronde de nuit de Rembrandt. Et le clair obscur caractéristique de ce peintre se retrouve dans le troisième mouvement. Ce Scherzo noté Schattenaft est dirigé avec subtilité par Matthias Pintscher. L'impression donnée est celle d'avoir une sourdine. Le son est léger et caressant, le tempo, rappelant celui de la valse (mais Valse comme chez Ravel), est très allant. Les coups d'archet sont secs, on ressent une urgence, le chef sautillant même sur son pupitre. La seconde Nachtmusik est un Andante qui convoque la guitare et la mandoline. Le chef ici, n'hésite pas à aller dans l'excès de cette musique. Enormément de vibrato aux cordes. Le tout est romantique, chantant, chaque intervention de la violon solo est très élégiaque, tandis que la harpe joue souvent dans un registre grave. Enfin, la guitare et la mandoline ne sont jamais recouvertes par l'orchestre et amènent la couleur si particulière qui caractérise ce mouvement que l'on aime tant. Mengelberg parlait ici d'un amoureux chantant sous les fenêtres de sa belle. On ne peut pas faire de meilleure description. Le Finale enfin, Rondo triomphal en do majeur permet de retrouver tout le caractère et toute la force du premier mouvement. Les timbales donnent le ton, et le rythme avec gourmandise. Bien que ce mouvement soit un peu grandiloquent et qu'on le pense parfois un peu parodique, rien de tel dans la lecture de Matthias Pintscher. Au contraire ! Ici, la tension ne retombe jamais et les choses sont prises au sérieux. Notamment grâce à la gestique expressive du chef qui bat inlassablement la mesure (mesure changeant d'ailleurs constamment), mais surtout au son brillant de l'Orchestre Philharmonique de Radio France qui répond parfaitement, toujours avec un pupitre exemplaire de cordes, plein de densité et de réactivité. Une lecture sérieuse, osée et engagée de sans doute, la symphonie la plus énigmatique de son auteur. Rien de tel pour une belle nuit d'automne.

Concert diffusé le mercredi 15 décembre sur France Musique

Programme du concert du 26 novembre 2021 à l'auditorium de la maison de la radio et de la musique
MATTHIAS PINTSCHER
Neharot (commande du Suntory Hall de Tokyo, du Staatsoper et du Staatsschauspiel de Dresde, du Los Angeles Philharmonic, de l’Orchestre de la Suisse romande, de Radio France/Festival d’Automne à Paris – création française)

GUSTAV MAHLER
Symphonie n° 7 "Chant de la nuit"

ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE RADIO FRANCE
MATTHIAS PINTSCHER
 direction

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article