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Publié par andika

Nocturne est un adjectif, qui signifie ce qui est propre à la nuit. Mais c'est également un nom commun, et dans ce sens, il s'agit de musique ! Thème ô combien évocateur pour le programme de l'Orchestre de Paris du jeudi 4 avril 2019 à la Philharmonie. Pour l'illustrer, le chef Daniel Harding a opté pour le Concerto pour piano n° 22 en mi bémol majeur K. 482 de Mozart, et la Symphonie n°7, « Chant de la nuit » en mi mineur de Mahler. Le pianiste Kristian Bezuidenhout faisait quant à lui ses débuts avec la phalange parisienne dans ces pages concertantes de Mozart. Mozart/Mahler, alliage autrichien habituel à l'Orchestre de Paris, non dénué d'intérêt, il permet d'explorer la nuit.

Contemporain des Noces de Figaro, le concerto 22 est créé en 1788, à une époque où Mozart est au zénith de sa popularité. Il s'agit de son plus long concerto. Il a notamment été popularisé par le film Amadeus où le personnage de Mozart en interprète le troisième mouvement. Pour cette œuvre, l'Orchestre de Paris est en formation réduite avec seulement dix premiers violons, Daniel Harding quant à lui dirige sans baguette. En outre, Kristian Bezuidenhout a sa partition avec lui au piano. Le premier mouvement noté Allegro est rayonnant de vitalité solennelle. Le son obtenu par le chef est rond, élégant, suave, bondissant. Le soliste quant à lui appuie sur les touches en dehors de ses parties, et lorsque c'est à lui de jouer, on découvre une légèreté toute mozartienne, avec un charmant sens du chant, et un petit côté sucré dans le son. Un côté enfantin et joueur aussi lorsqu'il s'agit de déclamer des gammes, mais tout cela en restant constamment sobre. Si l'on cherche une atmosphère nocturne, elle est définitivement à trouver dans le deuxième mouvement, un Andante mélancolique, bissé lors de la création selon la rumeur. Saluons ici la tenue admirable des cordes qui parviennent à trouver des couleurs biens ombrageuses. Le pianiste quant à lui caractérise la joie et la tristesse en même temps avec beaucoup de délicatesse. La petite harmonie est tellement excellente, notamment Vicens Prats à la flûte et Giorgio Mandolesi au basson, que quelques spectateurs sont incapables de réprimer leurs applaudissement à la fin de ces pages de recueillement ! Cela cadre bien avec l'atmosphère joyeuse et rieuse du Rondo qui ponctue le concerto. L'orchestre montre vigoureusement ses muscle avec force intonations et accents, le pianiste quant à lui semble simplement s'amuser avec ce thème espiègle. Tout y passe, trilles, ornementations, c'est un enchantement. Les cadences expriment la noblesse du soliste qui reçoit une ovation bien méritée à la fin du concerto. Pour son bis, il opte encore pour du Mozart avec la Suite en do majeur pour clavier KV 399. Toujours autant de délicatesse et de charme dans ce jeu, une main gauche envoutante pour une nuit qui commence sous les meilleurs hospices.

Après un entracte conséquent, l'Orchestre de Paris est cette fois de retour au grand complet. La 7ème symphonie de Mahler requiert en effet un grand effectif. Avec notamment cinq flûte, dont deux picolos, une petite clarinette en mi, le fameux Tenorhorn qui intervient dans le premier mouvement pour énoncer le premier thème. Commencée en même temps que la composition de la 6ème symphonie tragique en 1904, elle a pourtant une ambiance radicalement différente. Ambiance qui changera encore dans la 8ème, tant et si bien que sur ce triptyque, on peut parler de voyage de l'ombre vers la lumière. Et justement, dans les errances nocturnes du chant de la nuit, de l'ombre il y en a. Notamment au niveau de la forme qui va aller dans les territoires de la modernité avec notamment beaucoup de discontinuité thématique, et la difficulté de se rattacher à une tonalité. Symphonie un peu malaimée, incomprise, elle est rarement jouée et il aura fallu attendre 1950 pour qu'elle soit gravée pour la première fois. Divisée en cinq mouvements, elle alterne les ambiances et les climats. Daniel Harding est un chef très ordonné, précis, méticuleux, jusqu'à parfois être un tantinet mécanique. La confrontation avec la structure pour le moins étonnante de la 7ème n'en devenait que plus intéressante. Et immédiatement, l'ordre cher à ce chef fait bon ménage avec cette partition. En effet, un peu d'ordre, et de charpente constituent de bon ingrédients dans cette musique si mystérieuse. Plus il y a d'instruments, plus il faut traiter l'orchestre comme on traite de la musique de chambre, et le chef l'a bien compris. Les différents pupitres ont une coexistence paisible, les sections s'assemblent paisiblement et lorsqu'un instrument doit ressortir, il le fait sur un tapis douillet. Les interventions du Tenorhorn dans le premier mouvement, Langsam (Lent) Allegro risoluto, ma non troppo en sont de beaux exemples. Instrument appartenant à la famille des tubas (et placé juste à côté lors de ce concert), il a un timbre plus grave que le cor et plus doux que celui du tuba. Il est tout indiqué pour chanter cette atmosphère nocturne. L'équilibre de l'ensemble est tout à fait satisfaisant, l'alliage des textures est une expérience tout à fait saisissante. Les timbres cohabitent de belle manière, notamment dans ces incessants sauts de quartes qui naviguent des cordes aux cors de façon tout à fait naturelle. La première Nachtmusik qui suit change d'ambiance. Le parti pris d'interprétation ici est la sobriété. L'ironie grinçante consubstantielle à Mahler est ici reléguée au second plan. Toujours cette logique d'ordre, la petite harmonie dans l'introduction du deuxième mouvement éclaire la nuit et permet d'avancer sereinement vers la marche, qui est assez lente. On explore l'horizon avec prudence, sagement, mais parfois, il faut éviter des obstacles, alors on change de direction un peu brutalement, on accentue ça et là. Et puis, on s'arrête pour un trio charmant, chantant avec des cordes multitâches qui alternent les modes de jeu avec délectation, pizzicatos, col lengo, tout y passe. On pourrait aimer un peu plus de décadence et de grincement aux bois, mais c'est un chant de nuit, pas une nuit d'ivresse. Le Shcerzo en III quant à lui est un passage agité. Un sentiment d'urgence transparait dans ce rythme mécanique de valse, une fièvre saisit l'orchestre. Le Schattenhaft (ombreux) caractéristique du mouvement s'entend peut être dans ce jeu d'écho sublime entre les violons 1 et 2. Toutefois, le côté grotesque  de la musique n'est pas mis en avant ici au contraire d'un sentiment d’oppression et de tension, tant et si bien que le chef en fait tomber sa baguette. La seconde Nachtmusik, sorte de sérénade faisant intervenir la mandoline et la guitare renforce le sentiment d'errance. Avec des interventions intempestives de différents pupitres, on regrettera de ne pas entendre davantage la mandoline dans ce passage.  Enfin, le Finale, Allegro ordinario. Cet enthousiasme factice souvent décrié. Et pourtant, qu'il est agréable d'entendre ce do majeur, ces percussions et ces fanfares dans une ambiance de kermesse. Opulence du son, tuilages maîtrisés, et rappels du premier mouvement. Ce final est plaisant, quoi qu'on en dise.

Nuit enfiévrée avec une 7ème de Mahler qui n'a décidément pas fini de révéler tous ses secrets. Elle se refuse encore un peu, même s'il est possible d'en profiter et d'en savourer les contours. Œuvre rare, fascinante, elle produit son effet au concert. Harding, étant égal à lui-même, avec ses qualités et ses défauts, épouse cette musique de façon étonnamment naturelle. Il en atténue un peu les aspérités, il en révèle l'élégance. Évidemment, cette musique pourrait être encore plus "malade", mais faire baisser la fièvre, c'est souvent une bonne initiative. Errer oui, divaguer, non.

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