Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Pages

Publié par andika

Tirailleurs, comme Indigènes en son temps, est un film qui revient sur des soldats des guerres françaises guère mis en avant dans l'Histoire ou dans la fiction, bien que leur rôle soit intéressant. En 2006, Rachid Bouchareb mettait en scène des soldats indigènes venus du Maghreb afin de sauver la mère patrie française durant le Seconde Guerre Mondiale. En ce début 2023, Mathieu Vadepied s'intéresse au fameux tirailleur sénégalais mobilisé en 1917 lors de la Première Guerre mondiale.

Bien que l'intention pédagogique soit présente et importante, le metteur en scène a tout de même la bonne idée de faire du cinéma avec film. Tout d'abord avec une photographie soignée, où l'image raconte souvent autant que les dialogues (scène du début où le père est filmé en contre jour après la découverte de l'incorporation de son fils par exemple). La narration est fluide et les objectifs des personnages sont clairs et facilement compréhensibles. La musique d'Alexandre Desplat est également remarquable.

La France a besoin d'hommes et va en chercher de gré et plutôt de force en Afrique. Plutôt jeune, non marié et sans enfant. C'est ainsi que Thierno (très juste Alassane Diong) est incorporé de force à l'armée française au fin fond de son village. Mais son père, Bakary (magnétique Omar Sy) ne l'entend pas de cette oreille. Il s'engage donc de façon volontaire afin de pouvoir veiller sur son jeune fils.

Et une fois déployés en France, l'unique objectif n'est pas tant de survivre que de fuir le front. Par tous les moyens. Et il est très intéressant de faire du personnage principal d'un film de guerre un déserteur en puissance. Tout d'abord parce que c'est l'attitude qui semble être la plus lucide lorsqu'on est pris au milieu d'une guerre. De surcroit lorsque cette dernière ne nous concerne pas directement. Mais c'est également ce que dicte l'instinct de survie face au danger, et par conséquent, le spectateur s'identifie facilement. Cependant, au fur et à mesure, on se rend compte que Bakary est un des rares personnages autant déterminé à fuir. Et que les autres s'adaptent bon gré malgré à la situation. Parfois avec résignation. Mais aussi, plus étrangement avec l'envie d'en découdre, ou pire, de trouver la gloire dans la mort. Le personnage de Chambreau qui cherche ainsi la reconnaissance est très touchant, et ressemble davantage à l'idée qu'on se ferait du héros d'un film de guerre (remarquable Jonas Bloquet).

Ainsi, avec cette confrontation d'idéaux et d'objectifs, on fait davantage ressortir toute l'absurdité de la guerre. Mais paradoxalement, cette guerre révèle aussi les hommes et opère une sélection aveugle, sévère mais surtout étonnante. La désertion n'est pas récompensée. L'héroïsme pas davantage. En revanche, la discrétion, l'obéissance, à son père, à son officier, la modestie, le courage. Voici ce qui permettent de s'en sortir. On trouve finalement un héros qui s'en sort un peu par hasard, mais qui devient quand même un héros particulièrement appréciable quand on voit son parcours.

Plus important que la filiation, la gloire, ou la guerre, il y a la survie. Mais la survie ne se fait pas que par la subsistance de son enveloppe charnelle. On peut également devenir un symbole, un exemple par delà la mort. Ainsi, la figure du soldat inconnu rend sa dignité à tous ces disparus sans nom et sans sépulture. Et l'idée de se dire que le soldat inconnu était peut-être un déserteur en puissance rappelle à quel point la guerre est absurde, et qu'il faut tout faire pour l'éviter.

Tirailleurs est un très bon film, qui raconte une belle histoire sans se disperser. Et en faisant cela, il ouvre tous les débats possibles avec d'autant plus d'efficacité.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article