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Publié par andika

Quel plaisir de retrouver le pianiste Dimitri Malignan avec son nouveau disque, Pérégrinations paru chez Hortus et consacré au compositeur Jean-Sebastien Bach. Trois ans après sa première gravure qui avait pour programme la redoutable sonate pour piano n°1 de Schumann et Cendrillon de Prokofiev. L'occasion de voir son évolution depuis ses premiers pas discographiques, son approche de son instrument, qui est à cordes parallèles pour ce projet. Mais aussi pour parler de Bach, le mythe, la référence de la musique classique qui est ici appréhendé par un versant plus inhabituel. Au travers les Quinze Sinfonias BWV 787-801 et le très rare Prélude, fugue et allegro BWV 998. Définitivement un voyage passionnant en musique et en idées. Des pérégrinations fécondes.

Dimitri Malignan: "J’ai voulu proposer dans ce disque une sorte de voyage"

Pourquoi ce tire, Pérégrinations ?

Dimitri Malignan: Pérégrinations ça vient d’un mot latin (peregrinatio note AN) qui a deux significations. Le sens ancien signifie le voyage dans une contrée lointaine. Le sens plus moderne évoque des chemins complexes pour arriver à divers endroits.

J’ai voulu proposer dans ce disque une sorte de voyage de plusieurs façons différentes. Premièrement, avec le programme qui retrace des ouvres pas très connues de Bach.

En effet, vous n’êtes pas allé sur les Suites anglaises ou les Partitas.

DM: Oui justement, ici ce sont des œuvres un peu moins connues que j’ai voulu faire découvrir au public. C’est un voyage qui retrace un peu toute la vie de Bach. Avec une œuvre de jeunesse qui est le Capriccio en Si Bémol Majeur BWV 992, jusqu'à des œuvres de maturité comme la Fantaisie et fugue en Do Mineur BWV 906. Et ça retrace aussi tous les styles et les caractères différents qu’il a utilisés au cours de sa vie avec des pièces très variées.

Pérégrinations également parce que j’ai utilisé ce piano très particulier. Le piano à cordes parallèles de Chris Maene. C’est un instrument qui a été créé récemment en 2015, à la demande de Daniel Barenboim. C’est une fabrique belge, qui revient aux cordes parallèles des claviers anciens des XVIIIème et XIXème siècles. Au contraire des claviers modernes à cordes croisées. On obtient alors toute la clarté et la légèreté des claviers anciens mais également, toute la technologie moderne du piano d’aujourd’hui. Ça a créé un pont acoustique entre l’univers de Bach et ce que l’on a l’habitude d’entendre sur nos pianos actuels.

Justement, que représente Bach pour vous aujourd’hui ?

DM: Bach, c’est le compositeur qui m’accompagne depuis que je suis tout petit.

Les Sinfonias et Inventions sont un peu des pièces d’enfance pour les pianistes n’est-ce pas ?

DM: Justement, pour beaucoup de pianistes, Bach peut être un passage obligé. On est obligé de jouer les Préludes et fugues et les Suites en concours, en examens. Ils n’ont pas forcément envie de jouer ça avec beaucoup de plaisir. Pour moi, au contraire, j’ai toujours joué Bach avec beaucoup de curiosité, beaucoup de fascination. Et c’est un compositeur que j’inclus dans quasiment 90% de mes concerts. Comme j’ai eu carte blanche pour bâtir le programme de ce disque, pour moi c’était une belle opportunité d’enregistrer Bach.

Je voulais proposer des choses moins jouées, moins enregistrées

Dimitri Malignan

Pourquoi ces œuvres en particulier pour ce disque ?

DM: Je voulais proposer des choses moins jouées, moins enregistrées. Notamment des œuvres qui ont rarement été jouées et enregistrées comme par exemple le Prélude Fugue et Allegro qui termine ce programme. Il n’a été enregistré que une ou deux fois sur piano moderne. Mais Sviatoslav Richter jouait cette œuvre en concert. ll y a davantage de témoignages sur clavecin et claviers anciens. J’ai voulu montrer tout ce que Bach sait faire dans ces œuvres qui sont toutes assez courtes.

Par exemple dans les Sinfonias, ce sont quinze très petites pièces d’à peine deux pages, qui sont des concentrés de ce que Bach sait faire de mieux. Comme nous l’évoquions, ce sont des œuvres qui sont souvent données à des enfants pour apprendre le contrepoint et la polyphonie. Elles révèlent énormément d’expressivité et de science.

Il n’y a rien de tel pour aborder Bach au piano, par rapport au Clavier bien tempéré n’est-ce pas ?

DM: Oui, c’est un cycle qui est un peu négligé dans les concerts alors que ce sont des œuvres exceptionnelles. Malgré leur courte durée, Bach arrive à montrer ce qu’il sait faire de mieux.

Il y a aussi le Capriccio qui une œuvre très particulière de Bach. J’ai voulu faire commencer le programme symboliquement par cette œuvre parce qu’elle est surnommée « Sur le départ de son frère bien-aimé ». Il y a ce thème du voyage de la pérégrination. C’est Bach qui à 19 ans, propose sa seule œuvre dite à programme. Il y a un sujet, un thème, et chaque mouvement de cette pièce porte un sous titre qui décrit les étapes du voyage de son frère. C’est une œuvre unique dans le corpus de Bach.

L’Adagio en sol majeur est aussi unique dans l’œuvre de Bach parce que c’est une transcription par lui-même d’un mouvement d’une de ses sonates pour violon. On sait que d’autres musiciens ont transcrit Bach (Rachmaninov notamment), mais là c’est Bach lui-même qui prend la mélodie du violon à la main droite et à la main gauche, ajoute des arpèges et des harmonies qui sont très belles.

La Fantaisie et fugue enfin est peut-être l’œuvre la plus connue du disque. Elle est adoptée de longue date des pianistes qui la jouent en concert pour sa virtuosité. Mais la fugue est inachevée. On ne sait pas trop pourquoi Bach ne l’a pas finie. C’est un des sujets les plus incroyables de fugue. Extrêmement chromatique, dissonant. Elle n’est quasiment jamais jouée avec la fantaisie qui la précède. J’ai voulu ainsi les associer pour que le lien soit fait. J’ai voulu proposer un voyage musical dans l’œuvre de Bach, à travers des périodes différentes de sa vie.

Quel est l’apport de la musique de Bach quand vous devez aborder d’autres compositeurs ?

DM: Evidemment Bach est la base de toute notre musique dite classique. Enormément de compositeurs, même s’ils ne se sont pas tous inspirés directement de Bach, ont été influencés par sa science du contrepoint, sa science de la polyphonie (Beethoven, Brahms). C’est pour cela que j’aime beaucoup jouer Bach dans tous mes concerts parce que c’est un point de départ pour toutes les autres œuvres qui ont été écrites pendant trois cent ans. Et ça m’apporte beaucoup. Même quand on joue des choses qui peuvent paraitre très denses comme par exemple Rachmaninov. Il peut y avoir certaines petites phrases où on voit qu’il y a beaucoup de polyphonie, et ça, ça vient évidemment directement de Bach.

Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui depuis votre premier disque ?

DM: Le premier disque datait de 2018, donc ça fait trois ans et demi. Evidemment pianistiquement, j’ai eu l’occasion de changer. De prendre en maturité.

J’aborde avec plus de confiance ce second disque.

Dimitri Malignan

La piano a changé aussi !

DM: Oui (rires). Pour des projets de disque comme ça, j’aime bien avoir des choses qui diffèrent. Le premier disque était consacré à Schumann et Prokofiev, deux compositeurs très différents. Là c’est Bach, c’est encore autre chose. Je veux montrer que chaque compositeur a son univers, son atmosphère et ce que je peux proposer moi de différent dans toute ces musiques. Et évidemment, j’aborde avec plus de confiance ce second disque. Le premier disque, c’était un moment stressant de faire l’enregistrement. On grave son interprétation. C’est beaucoup de pression d’enregistrer un album. Mais quand on en a déjà fait un, le processus d’enregistrer est plus facile. On ressent moins la pression quand on est au piano et on sait un peu mieux comment ça fonctionne et ce qu’il faut faire.

On commence aussi à avoir d’autres projets, d’autres choses pour la suite.

Estimez-vous être encore le même pianiste qu’à l’époque de votre premier disque ?

DM: Fondamentalement oui, je pense que mes intuitions et mes idées sont restées majoritairement les mêmes. Après les moyens d’y arriver ont évolué, ont changé, se sont améliorés j’espère aussi. Je pense que maintenant, j’ai plus de capacités de faire ce que j’ai réellement envie de montrer. Tout en étant évidemment humble et en me disant que dans dix ans, en écoutant ce disque, je penserai qu’il aurait fallu faire les choses différemment ! Ce qui est compliqué pour Bach, c’est qu’il y a quarante cinq façons différentes de faire la chose. Et même moi, au moment d’enregistrer, je me disais que certains passages pouvaient être joués deux fois plus lentement ou deux fois plus vite. On voit beaucoup de pianistes qui notamment pour Bach, ont au cour de leur vie enregistré deux ou trois fois les mêmes œuvres. Andras Schiff par exemple. Je pense que les idées évoluent Musicalement et humainement, on est la même personne, mais les idées changent avec notre approche à l’instrument.

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