Camille Pépin: Il n’y a pas de musique féminine ni de musique masculine
Le 23 novembre 2018 s'est tenu à la Philharmonie de Paris le premier Tremplin jeunes cheffes d'orchestre visant à promouvoir de jeunes femmes à la direction d'orchestre. A cette occasion, le public a eu la chance d'entendre à six reprises Vajrayana de la compositrice française Camille Pépin. Cette oeuvre lui avait permis de remporter le concours île de créations de l'Orchestre national d'Île de France en 2015 et en a depuis appelé beaucoup d'autres. Rencontre pour une conversation autour de cette initiative de la philharmonie, ses méthodes de travail et enfin ses différents projets.
Est-ce une fierté pour vous d’avoir été associée à ce premier tremplin à la philharmonie ?
Camille Pépin: Oui, c’est une fierté déjà parce que j’ai été jouée par un orchestre symphonique. Et puis, aussi, parce que ce sont des jeunes cheffes qui sont venues. Et comme je suis jeune aussi, je me suis sentie très proche d’elles. Parce qu’il y a 3 ans, c’était la première fois que j’étais jouée à la philharmonie grâce au concours Île de créations de l'ONDIF. C’était hier ! J’avais envie de leur souhaiter tellement de bonnes choses parce que j’ai fait le parallèle avec ce concours. Ça a été un tremplin pour moi, parce qu’avant, personne ne savait que je composais. Je composais pour moi, dans ma chambre et c’est grâce à ce concours que ça a commencé à être mon métier !
Une compositrice ne fait pas de la musique douce.
Est-ce important pour vous de promouvoir le rôle des femmes dans le monde de la musique classique ?
C.P: C’est important de la même façon que pour les hommes. Je suis dans une position délicate, on m’associe à ce mouvement féministe alors que mon rêve, c’est qu’on me sollicite juste parce que je fais de la musique, pas parce que je suis une femme. Le festival Présences féminines m’avait appelée parce qu’il cherchait une compositrice en résidence, alors j’ai accepté. Il y a eu une conférence où j’ai expliqué que le jour où on aurait gagné, il n’y aurait plus besoin de faire ce genre de festival. Mais pour l’instant c’est vrai que ce n’est pas le cas, on a besoin de faire ça. C’est une étape qui est un peu obligatoire mais elle ne devrait pas être nécessaire.
Avec ma pièce Indra, créée lors de ce festival, le but était un peu de répondre à un monsieur à un concert qui m’avait dit qu’il avait senti dans ma musique que c’était une femme qui composait, en expliquant que c’était « très fleuri et plein de fraîcheur ». Ça m’avait tellement énervée que j’avais décidé d’écrire une œuvre rythmique, guerrière, très énergique pour qu’il constate qu’une compositrice ne fait pas de la musique douce. Il n’y a pas de musique féminine ni de musique masculine.
Recherchez-vous particulièrement à collaborer avec des femmes dans vos projets artistiques ?
C.P: En fait, je cherche à collaborer avec les personnes qui me touchent. Que ce soit avec les interprètes ou les chefs. C’est imprévisible, c’est le coup de cœur. Parfois, je vais à un concert et j’entends un interprète que je n’ai jamais entendu et je suis bluffée. Les interprètes avec qui je travaille le plus souvent, ceux qui me sont fidèles depuis des années, ça a été ça à chaque fois et on ne se quitte pas depuis !
Je cherche à collaborer avec les personnes qui me touchent.
Avez-vous déjà douté de votre vocation de compositrice ?
C.P: Oui. Tous les jours. Je doute tous les jours. Dès que je me mets au travail, j’ai des doutes en permanence, c’est normal. Je ne sais pas si je ferai cela toute ma vie. Je fais ça aujourd’hui parce que j’en ai besoin, je ne me vois pas faire autre chose. Aujourd’hui, je n’ai pas envie de faire autre chose, mais je ne sais pas si c’est possible toute une vie. Quand on voit le catalogue de certains compositeurs, on se demande comment ils ont fait pour écrire autant de pièces, aussi différentes, aussi intéressantes, aussi renouvelées à chaque fois. C’est un métier qu’on découvre au fur et à mesure, il n’y a pas de règle, il n’y a pas de chemin tout tracé. On apprend à l’écriture de chaque oeuvre et on essaie de faire chaque fois mieux dans la suivante. Chacun le fait avec son histoire et ce qu’il a à dire. On doit tout construire.
Il y a aussi des genres qui ne m’attirent pas, et d’autres qui me font peur. Peut-être que cela changera avec les années à venir, les rencontres, les expériences. Je n’ai par exemple jamais écrit pour voix/piano ou pour piano seul. L’héritage est tel qu’il devient un poids sur les épaules. Il y a tant de belles oeuvres pour ces formations… ! L’opéra ne m’attire pas spécialement aujourd’hui, contrairement au ballet dont je rêve depuis des années. Depuis toujours en fait !
J’avais peur du quatuor à cordes également, et j’en ai écrit un premier avec harpe et percussions, que j’ai conçu comme j’aurais conçu une oeuvre orchestrale. Ça m’a rassurée et je me sens donc plus sereine aujourd’hui à l’idée d’écrire pour quatuor seul !
Je doute tous les jours.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
C.P: Les autres arts, en fait !! Beaucoup les arts picturaux, d’Edward Hopper à l’expressionnisme abstrait de Jackson Pollock, ou encore la merveilleuse artiste française Fabienne Verdier ! J’aime également beaucoup les estampes japonaises (Kawase, ou Hiroshige) ou encore le style Rinpa. J’aime cette contemplation de la nature.
J’aime beaucoup le cinéma (Park Wan-Chook, Lantomos, Lynch, Cronenberg, Alfredson…) et la photographie. J’ai d’ailleurs une amie photographe dont j’admire le travail et qui réussit toujours à saisir l’essence des gens en une photo. Ça me fascine !
La littérature est aussi source d’inspiration et plutôt du côté des imagistes dont j’apprécie le style avec une immédiateté dans l’expression, une proximité avec la nature, et une certaine sobriété : James Joyce, Robert Frost, Carlos Williams, Yeats… Je me sens plus proche de cette poésie que de la poésie française, par exemple.
L’espace aussi m’inspire - comme beaucoup d’artistes - par tout ce qu’il représente d’immense et de mystérieux. C’est toujours amusant d’essayer de coucher sur le papier ce que nous inspire un endroit que l’on a jamais visité !
Que ressentez-vous lorsqu’on joue votre musique ?
C.P: Je ressens beaucoup d’émotion. J’ai l’impression que l’on expose une part de moi. Après, ma musique devient alors un objet et ne m’appartient plus à ce moment là. L’objet est sorti de moi à ce moment là. Cela sort de mon corps, de mon esprit.
Quand j’écris une pièce, pendant six mois, je l’ai dans la tête. J’ai du mal à faire autre chose, comme par exemple aller au cinéma ou manger entre amis. C’est dur parce que j’ai la pièce constamment dans ma tête, c’est presque obsessionnel, tant que ce n’est pas fini. Et quand je termine les pièces, systématiquement, les deux, trois jours qui suivent, c’est dépression totale. C’est bon, parce que ça signifie que j’ai fini, mon corps me dit que j’ai achevé mon boulot. Je peux passer à autre chose après. Lorsque c’est joué, ça prend forme et je souffle. C’est un peu comme dans la vie quand on voit ses enfants grandir.
A quels genres musicaux souhaitez-vous vous consacrer à l’avenir ?
C.P: Le ballet est un genre que j’aime beaucoup. J’ai besoin de sentir toutes mes idées corporellement, et je danse souvent en écrivant ! Je cherche à retranscrire ce qui me vient naturellement, ce qui est un peu improvisé, ce que je sens. Et cela ne donne pas toujours des choses très naturelles à la lecture de la partition. J’utilise des mesures à 7/16 ou 11/16 qui embêtent les musiciens. Mais avec le travail, on se rend compte de la logique et de la sensation que cela produit, et cela devient naturel à jouer. Ce sont des rythmes que j’ai naturellement sentis dans le corps et que j’ai couché sur papier. S’ils ne sont pas forcément évidents à la lecture sur la papier, ils s’ancrent assez naturellement dans le corps des interprètes qui est naturellement ancré dans le corps. Ils dansent d’ailleurs souvent en jouant ma musique ! Ils me disent d’ailleurs que les partitions ne sont pas faciles à monter, mais une fois qu’ils les avaient intégrées, ils en retiraient un certain bénéfice et que les pièces « restent dans le corps. »
Sinon, j’aime beaucoup la musique de chambre et j’aime beaucoup écrire pour des formations originales plutôt que les formations traditionnelles. J’aime particulièrement les percussions (les claviers) et les ensembles mixtes !
Aussi, pourquoi pas essayer un jour la musique de film ?
Le ballet est un genre que j’aime beaucoup.
Vajrayana de Camille Pépin
Quels sont vos prochains projets ?
C.P: J’ai un projet de double concerto pour violoncelle, clarinette, et orchestre avec les solistes Yan Levionnois et Julien Hervé, et l’Orchestre de Picardie où je suis en résidence.
Ma prochaine création est une commande de l’Orchestre national de Lyon sous la direction de Leonard Slatkin en mai prochain.
J’ai une pièce pour harpe solo qui est jouée un peu partout en Europe pour la tournée Echo Rising Stars d’Anaïs Gaudemard.
Cette année est aussi l’année de la sortie de mon premier disque « Chamber Music » avec 5 oeuvres de musique de chambre et mes interprètes. Il paraîtra le 22 février chez le label NoMadMusic.
Cet été, mon premier quatuor sera créé par le Auryn Quartet au festival de quatuor à cordes du Lubéron et le Musiktage de Mondsee en Autriche. Et en novembre, un autre double concerto à venir avec Anaëlle Tourret (harpe), Thibault Lepri (marimba) et l’Orchestre de l’Opéra de Toulon. Je continue également ma résidence à l’Orchestre de Picardie et commence une résidence au festival International de Musique de Besançon ! Une année dont je me réjouis, en somme !
Propos recueillis par Anthony Ndika
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