La sacrée soirée du Chœurr de Radio France dans Messiaen et Bruckner
Sacrée soirée était le rendez-vous du mercredi soir sur TF1 avec Jean-Pierre Foucault jadis, au siècle dernier, où diverses personnes du monde de la culture étaient invitées. Mais une sacrée soirée de nos jours, peut se tenir un samedi soir, comme le 4 décembre dernier, à l'auditorium de la Maison de la radio et de la musique, autour de quelques partitions, de musique sacrée de préférence, mais surtout, d'une chorale. Ainsi, le programme du cinquième rendez-vous de Chorus Line, la saison du Choeur de Radio France, avait un programme des plus ambitieux, avec comme pinacle, la Messe n°2 en mi mineur d'Anton Bruckner. Avant cela, une composition récente de Thomas Lacôte, et les rares et pourtant savoureux Cinq Rechants d'Olivier Messiaen. Et pour finir, toujours sur le thème de la musique sacrée, un sobre motet du même Messiaen. Le Chœur de Radio France et les musiciens de l'Orchestre national de France étaient placés sous la direction de Martina Batič.
La voix plus loin de Thomas Lacôte est une oeuvre créée en 2020 dans le cadre du festival Présences de Radio France. Elle se distingue par l'alliage habile du timbre de deux cors avec celui de l'orgue. Et cette oeuvre semble être chez elle à l'auditorium de la maison de la radio où elle a été créée un peu plus d'un an auparavant. Les deux cors et l'orgue de Karol Mossakowski se fondent et fusionnent le plus naturellement du monde dans les basses. Les choix de registration de l'organiste sont avisés. Ce dernier, pour se démarquer des cors, jouant souvent dans le registre de la flûte avec son orgue, et parvient ainsi, à exprimer la belle mélodie, qui serait peut-être la fameuse voix plus loin. La progression harmonique est lente, planante, le temps se dilate, la spatialisation des cors fonctionne à plein (placés de part et d'autre des chœurs à l'arrière scène) et on a du mal à revenir sur Terre après la dernière note. Très belle oeuvre.
En 1948, après avoir travaillé sur Harawi, l'histoire des aventures péruviennes d'une petite indienne du nom de Piroutcha, Olivier Messiaen s'attaque aux Cinq Rechants. Et on trouve des points commun entre ces deux œuvres, le thème de l'amour notamment ainsi que l'usage étendu des onomatopées. Messiaen écrit les textes, mélange de français et de langues imaginaires où les phonèmes se marient avec la puissance symbolique des noms d'amants, comme par exemple les fameux Tristan et Yseult. Le premier (re)chant est vivifiant, dynamique, rythmé et drôle avec un refrain employant force onomatopées (t k t k t k t kha ha ha ha ha soif). Le deuxième chant s'articule quant à lui autour de la polyphonie où les douze voix brillent. La direction de Martina Batič est claire et rigoureuse. Le troisième chant est intense et se construit autour d'un immense crescendo qui culmine sur le mot Yoma ! Le quatrième chant se distingue par son rythme, et l'accentuation des temps dans la mesure (les premier et troisièmes), qui ne sont jamais pris en défaut. Enfin, le dernier chant est sobre, parfois chuchoté et bouche fermé et contraste avec des fortissimos puissant ! Une oeuvre pleine de sève, d'humour et de plaisir avant l'entracte !
Anton Bruckner est un compositeur connu pour ses symphonies, son amour de Wagner et enfin, sa grande piété. En tant qu'organiste, il est titulaire de l'instrument de Saint-Florian à compter de 1851, puis de Linz à compter de 1855. Et c'est pour l'inauguration de la nouvelle cathédrale de cette ville que Bruckner recevra la commande de sa Messe en si mineur de la part de l'évêque du diocèse. Une première version sera composée en 1866 et comme d'habitude chez ce compositeur, elle connaîtra des révisions après sa création en 1869. La version la plus communément jouée de nos jours est celle de 1882, notamment lors de ce concert. Messe en six parties, elle est pour chœur mixte de huit voix et ensemble d'instruments à vent. Comme pour ses symphonies, elle fonctionne parfois par blocs et dilate le temps. Mais elle se démarque aussi du reste du corpus de son auteur. Le Kyrie commence ainsi sur une nuance piano où les altos puis les sopranos entrent. Trois strophes, peu de paroles mais beaucoup de musique dans cette première partie de la messe. Tout de suite, le Chœur de Radio France frappe par sa cohésion et sa justesse, notamment dans les nuances et les intonations. Les voix masculines entrent par la suite, seules, et reprennent les mêmes notes. Les fameux blocs bruckneriens qui se mettent en place. Les trombones à la fin donnent de la majesté à ce passage poignant. Le Gloria est quant à lui caractérisé par la présence plus marqué des instruments qui accompagnent la mélodie et la polyphonie savoureuse de la fugue, parfaitement dirigée par Martina Batič. Le Credo qui suit est sans doute le passage à la plus grande intensité. La mesure est à 3/4 avec des premiers temps très marqués qui donnent de l'élan à l'ensemble. L'orchestre de nouveau très présent offre des moments de brillance. Une section qui impressionne, notamment grâce à sa superbe polyphonie. Le Sanctus commence dans la douceur avant qu'un crescendo superbement construit par Martina Batič ne culmine de façon gigantesque sur l'entée des trombones. La direction est constamment subtile, dosée, soignée, précise, et cela se vérifie dans le Benedictus au calme rassérénant avant d'en finir dans la gloire de Dieu avec l'Agnus Dei. L'auditorium a beau être un lieu profane, il sied pourtant à merveille à la musique sacrée. Surtout interprétée avec autant de conviction et de talent. Sans applaudissement entre les deux morceaux, l'organiste Karol Mossakowski étant déjà sur la scène depuis le retour de l'entracte entre de nouveau en jeu pour le motet O Sacrum Convivium de Messiaen. L'orgue ici ressemble étrangement à un synthé. Il sert comme un tuteur pour les belles harmonies que suit avec justesse le chœur. Une oeuvre courte mais pourtant si apaisante, qui conclut à la perfection ce programme riche, entre sacré et profane. Cet épisode 5 de la saison de Chorus Line a définitivement été un grand moment.
OLIVIER MESSIAEN 5 Rechants O Sacrum Conviviun ANTON BRUCKNER Messe n° 2 en mi mineur, pour 8 voix mixtes et instruments à vent (version de 1882) THOMAS LACÔTE La Voix plus loin pour deux cors et orgue (commande de Radio France) KAROL MOSSAKOWSKI orgue Musiciens de l’ORCHESTRE NATIONAL DE FRANCE CHŒUR DE RADIO FRANCE MARTINA BATIČ direction |
Un programme profane puis sacré en passant de Thomas Lacôte à Olivier Messiaen, sans oublier la sublime Messe en mi mineur de Bruckner. Un superbe @ChoeurRF pour un concert vraiment mémorable ce soir à la @Maisondelaradio
— Andika (@Nyantho) December 4, 2021
Le motet de Messiaen en conclusion était parfait ! pic.twitter.com/YhhtcysYjH
CHORUS LINE #5 - Samedi 04 décembre 2021 - 20h00 Maison de la Radio et de la Musique - Auditorium
Avec les Cinq rechants a capella (" rechant " signifiant ici refrain), Messiaen met un point final à son cycle d'œuvres inspirées du mythe de Tristan et Iseult. En écrivant lui-même les textes...