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Publié par andika

Si on ne devait retenir qu'une seule comédie musicale, ce serait probablement West Side Story d'Arthur LaurentsStephen Sondheim et Leonard Bernstein, mise en scène par Jerome Robbins et créée le 26 septembre 1957 à Broadway. Adaptée au cinéma en 1961, son succès ne s’est pas démenti depuis lors, l’oeuvre étant régulièrement reprise sur les scènes du monde entier.

Variation du mythe de Roméo et Juliette dans le New-York des années 1950, les Capulet et Montaigu sont ici remplacés par les Jets, immigrés européens, et les Sharks, immigrés plus récent, originaires de Porto Rico. L’histoire est donc universelle car dérivée de Shakespeare, connue de tous, mais elle est également un peu spécifique aux Etats-Unis et aux tensions qui jalonnent la société de ce pays. Tensions qui agitaient les Etats-Unis en 1957 comme en 2021.

Même s’il est de tradition de reprendre des productions au théâtre, en comédie musicale, à l’opéra. Que les comédies musicales produisent de nombreux standards du jazz constamment repris, le remake au cinéma est un peu moins régulier. Bien que la chose soit quand même répandue et fréquente, il y a certains films auxquels on ne touche pas. Et on se demandait bien quelle mouche avait bien pu piquer le grand Steven Spielberg pour que ce dernier se lance dans un tel projet.

Pourtant, à y regarder de plus près, il n’y a rien d’étonnant à cette démarche. Spielberg était enfant à la sortie du film. Son cinéma baigne souvent dans les rêves de l’enfance qui se confrontent à la dure réalité parfois. Mais Spielberg parle également des Etats-Unis, de leurs valeurs ainsi que de leurs zones d’ombre. Les récents Lincoln et The Post sont là pour en attester. Enfin, qui sommes nous face à un souvenir d’enfance d’un homme qui a maintenant les moyens de faire par lui-même ce qu’il a tant aimé ? La dédicace pour son père à la fin du générique justifie ainsi tout.

Que Spielberg reprenne West Side Story est une bénédiction pour le cinéphile. La musique de Bernstein est toujours la même, les paroles du récemment disparu Stephen Sondheim  sont toujours là, et les chorégraphie de Jerome Robbins enchantent encore l’écran. Et pourtant, tout change !

Premièrement, la virtuosité de la mise en scène de Steven Spielberg dynamite le rythme du film. Ici, même les passages qui ne sont pas chantés et dansés vivent et son prenants et regorgent d’idées visuelles. Le début du film, avec un long travelling, fluide, présentant une boule de démolition sévissant dans le West Side est à ce titre très parlant. Ou comment la destruction prochaine d’anciennes habitations afin de faire venir une nouvelle population devient immédiatement l’enjeu de la défense du territoire opérée par les Jets. Mais là où la plus-value de Steven Spielberg se fait le plus ressentir, c’est bien sur la fluidité des scènes de danse. Croyez-le où non, c’est la première fois que ce réalisateur de génie se frotte au genre de la comédie musicale, mais il sait faire danser sa caméra avec ses acteurs. La scène du bal, avec le fameux Mambo est d’un dynamisme inouï. La chanson et la chorégraphie d’America, interprétés par Anita (sublime Ariana DeBose), sont pleines d’énergie, au milieu de la ville. La photographie, bien que chaude, ne sature pas les couleurs et fait très naturelle, malgré les teintes parfois bariolées des costumes. Là où l’original donnait souvent l’impression d’être en studio, le remake donne vraiment le sentiment que l’on s’aventure dans la rue de New York. La rencontre de Maria et Tony avec une lumière très bien utilisée, raconte visuellement les choses bien mieux que mille mots lors du fameux bal.

Autre nouveauté, le casting plus vrai que nature. Ansel Elgort est un superbe Tony, ancien chef de gang rangé qui n’aspire plus qu’à une vie sans problème et pleine d’amour. Rachel Zegler est une Maria jeune, fraîche, douce, naïve et si belle, surtout lorsqu’elle chante le fameux I’m Fee pretty. Les jets et les Sharks sont tous très convaincant. La langue espagnole a toute sa place dans le film, les personnages d’origine portoricaine s’exprimant d’ailleurs spontanément en espagnol avant de constamment se faire reprendre pour parler anglais. Mais la décision de Spielberg de ne pas sous-titrer les dialogues en espagnol est très discutable et a été prise pour des motifs assez fallacieux mais dans l’air du temps. Sous-titrer l’espagnol n’est pas une façon de donner du pouvoir à la langue anglaise sur une autre, mais c’est respecter les spectateurs qui ne comprennent pas cette langue. Si la décision s’entend aux Etats-Unis, l’idée était assez saugrenue de la reprendre telle quelle en France ! Ainsi, le quart des dialogues devient presque incompréhensible. Il me semblait bien que l’espagnol et l’anglais étaient des langues étrangères dans notre pays… Toutefois, la chanson ajoutée par rapport à l’original, chantée en espagnole par les Sharks après la première bagarre, est sous-titrée !

Sur ce thème, le casting est très inclusif. Les comédiens correspondent aux origines et aux âges des personnages, la jeune fille qui veut intégrer les jets est interprétée par un comédien qui se définit comme non binaire (Iris Menas) et enfin, on se souvient que des noirs américains vivaient aussi à New-York à cette époque. Cependant, le propos manque parfois un peu de subtilité. Notamment les remontrances de Valentina (Superbe Rita Moreno, de retour ici soixante ans après l’original) à l’encontre des jets.

En revanche, sur certains points, quand le film ne commet pas d’anachronisme, il atteint parfaitement sa cible. Ainsi, la xénophobie montrée de façon crue est parfaitement effrayante. L’action se déroule dans les années 1950, les costumes et les décors le rappellent constamment et pourtant, certaines situations s’appliquent encore à l’Amérique d'aujourd’hui.

Cependant, cela n’est pas une chose totalement négative. Certaines choses banales qui se déroulaient à cette époque sont aujourd’hui inacceptables. Et de plus, l’actualisation du mythe West Side Story avec un regard neuf est la preuve ultime que les choses changent et que, d’un souvenir d’enfance, on peut tirer un propos profond de la part d’un homme mur.

Enfin la musique dirigée ici par Gustavo Dudamel, chef d’orchestre d’origine vénézuélienne, vaut à elle seule le déplacement. La vitalité des thèmes est toujours de mise, l’orchestre ne s’appesantit jamais et avance joyeusement sur les rythmes chaloupés concoctés par Bernstein et parfaitement interprétés par Dudamel.

Personnellement, je connaissais surtout West Side Story par sa musique, n’étant jamais parvenu à voir le film original jusque’à la fin. La version de Steven Spielberg a donc été pour moi une très belle occasion d’enfin tout voir !

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