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Publié par andika

L'alto est cet instrument mal aimé de l'orchestre. Pour d'obscures raisons, il est la cible de toutes les blagues possibles et imaginables parmi les musiciens. Prétendument, l'altiste n'est pas assez bon pour le violon et par conséquent, doit se rabattre sur l'alto, considéré comme un instrument de seconde zone. C'est précédé de cette réputation que l'alto était au programme du concert de l'Orchestre de Paris ce mercredi 21 février 2018 à la Philharmonie, avec le Concerto pour alto de Widmann et la Symphonie n°9 en ré majeur de Mahler.

Lors d'une rencontre avant concert organisée dans la salle de conférences de la philharmonie, j'ai eu l'opportunité d'interroger Antoine Tamestit, le soliste à l'alto de cette soirée. Je lui ai demandé s'il pensait que le pauvreté du répertoire concertant de l'alto était dû à la paresse des altistes qui ne sollicitaient pas suffisamment les compositeurs, en analogie avec Rostropovitch qui faisait ce constat pour son instrument, le violoncelle. Il m'a répondu que c'était vrai tout en me citant un nombre incalculable de références que je ne connaissais pas. Ma deuxième question était plus légère. Je l'ai interrogé sur sa blague préférée au sujet de l'alto. Sa réponse a comblé mes attentes:

Tous les violonistes peuvent jouer de l'alto, en revanche, tous les altistes ne peuvent pas jouer de l'alto !

Blague anonyme sur l'alto

Toutefois, Antoine Tamestit compte parmi ces altistes qui savent jouer de l'alto, et qui commandent même des partitions aux compositeurs. La genèse de ce concerto pour alto de Widmann a été passionnante, (elle relatée en détails est relatée ici et ici ) pièce commandée en 2008 mais livrée en 2015 par le compositeur, avec des pages envoyées au dernier moment juste à temps pour la création, elle n'avait qu'un but, sortir de la tête de Widmann (comparé deux fois à Mozart par Tamestit pour décrire son processus créatif !)  et ne surtout pas rester au tiroir. Et c'est chose faite puisque ce concerto est repris fréquemment, ce qui est rare pour la musique contemporaine. Il faut dire que ce concerto est un spectacle total, une réelle performance. Il s'agit avant tout d'une recherche. On teste, on se trompe, on recommence, on essaie de trouver sa juste place. La grande majorité de ce cheminement échoit au soliste qui se promène sur scène (avec des chaussures spéciales qui ne font pas de bruit), tout en martyrisant le registre de son instrument. Abondance de pizzicatos, d'effets percussifs avant de découvrir l'archet. L'orchestre n'est pas en reste, lui aussi se cherche et essaye d'aider l'alto. Parfois la recherche est frustrante, peu de tuttis, peu de solos, beaucoup d'interrogations. Mais lorsque chacun trouve sa place, la mélodie éclot, et les émotions viennent, et cette notion de chant d'adieu prend tout son sens. Une orchestration étonnante, un alto inventif pour un final recueilli, ce concerto de Widmann recèle de choses étonnantes.

Puis après un entracte assez long, la symphonie tant attendue. La 9ème de Mahler emporte beaucoup de fantasmes derrière elle. Dernière partition achevée du compositeur, elle serait censée transmettre le message de quelqu'un qui se prépare à la mort. Sauf que cette interprétation ne résiste pas aux faits. Cette symphonie a été composée en 1909 et Mahler est mort deux ans après et elle a été créée un an après son décès. On entre donc dans le territoire des œuvres posthumes, sachant que cette partition est restée dans un tiroir pendant trois années. Et pourtant, c'est tout sauf un testament. C'est aussi un travail de recherche, un passage en revue des styles, une synthèse, un sophistication du langage de Mahler. Tant et si bien qu'on peut citer Henry-Louis de La Grange.

On a jamais assisté qu'à des triomphes de la Neuvième. A croire que l'œuvre oblige les interprètes à se dépasser et les auditeurs à s'unir.

Henry-Louis de La Grange

Que des triomphes ? Symphonie immanquable donc ? Si cela peut s'appliquer au sujet de l'adagio final qui ne peut qu'emporter, les trois premiers mouvements eux, prêtent davantage à discussion.

Daniel Harding passe pour être un spécialiste des symphonies de Mahler et à sa façon de diriger, on sent qu'il connait en effet son sujet. Il s'agit ici de partitions assez complexes, qu'il faut bien maîtriser. Cette maîtrise, il l'a. Il l'a même un peu trop, tel le pilote d'avion qu'il est également, il est toujours en contrôle de tout. Ainsi, le flux continu de l'Andante comodo ne déborde pas. Ce flot qui apparait comme s'il avait toujours été là ne sort pas de son lit, les nuances pianos sont maitrisées, le tempo est large, puis l'irruption du second thème en mineur avec les cordes amène de la tension mais tension une fois de plus contrôlée. Tous les instruments brillent ici, les cuivres, les cordes impressionnantes, la petite harmonie avec un Vicens Prats phénoménal à la flûte. Toutefois, le contrôle se fait trop radical dans le Ländler. L'ambiance champêtre attendue et même un peu grotesque ne s'installe pas. Marc Trénel au basson reste bien sage et fait briller les altos en accompagnement. Alors, au lieu d'avoir du champêtre, on a quelque chose de méchant, d'acéré, mécanique, clinique. Mais pas nerveux, cette danse est calme, en contrôle. Tout est décortiqué, les attaques des violons très aiguisés, très tranchants, très sérieux. Des accélérations métronomiques, corsetées, violentes.  Le Rondo Burleske quant à lui tranche par son aspect tranquille. Ne recherchez pas de tension ici, dès le départ, un couac à la trompette sonne le glas de cette ambition. Mais cela a pour conséquence de renforcer le climax du final de ce mouvement qui est assez fou, avec un contrepoint stratosphérique et des cuivres de tout premier plan, notamment Stéphane Labeyrie au tuba. Enfin cet adagio, si beau, si poignant, chantant. Malgré tout, des spectateurs quittent déjà les gradins, alors que ce mouvement est la grande réussite de la soirée. Des cordes royales, notamment les altos qui prouvent ici toute leur utilité et leur beauté, notamment David Gaillard, l'alto solo. Chaque pupitre brille, aux bois (cor anglais, hautbois), aux cuivres (ah ces cors), aux percussions. Le flot déborde enfin un peu et le recueillement a lieu. Cette musique pénètre l'auditeur au plus profond de lui avant de lentement se dissoudre dans le silence. Il est impossible de rater cet adagio. Il est impossible de ne pas être transporté. Tout Mahler est là, serein, calme et surtout si beau. Un peu d'abandon, ça ne fait pas de mal.

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