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Publié par andika

Rashōmon est un film d'Akira Kurosawa, célèbre pour sa narration qui présente les mêmes éléments mais de points de vue différents. Ainsi, on peut dire que Le Nouveau Testament est une sorte de Rashōmon littéraire avant l'heure présentant la vie de Jésus. Dans l'histoire du cinéma, Kurosawa a fait des émules. Un exemple récent de Rashōmon est à cet égard Star Wars épisode 8 où l'on retrouvait déjà Adam Driver.

Mais pour ce nouvel opus de Ridley Scott, il n'est pas question de galaxie très très lointaine. Au contraire, l'intrigue se déroule dans nos contrées françaises, au 14ème siècle entre la Normandie et Paris (reconnaissable grâce au chantier de la cathédrale Notre Dame), sous le règne du roi Charles VI. A cette époque, c'est le système féodal qui règne en France. Des seigneurs, des vassaux, des serments de fidélité, des terres, des impôts, et bien entendu, une noble lignée à perpétuer. Tant et si bien que pour une fois, pour un film américain, la version française ne saurait être dénuée de tout intérêt.

C'est une époque où la guerre règne, dans le Royaume et à l’extérieur. Pour toujours plus de conquêtes mais aussi toujours plus d'argent. C'est dans ce contexte que nous rencontrons nos trois personnages principaux. Jean de Carrouge, interprété par un Matt Damon au mulet inoubliable. Personnage rustre, impulsif mais toutefois immensément courageux. Son meilleur ami, Jacques Le Gris, interprété par Adam Driver, est un homme lettré sous ses airs de colosse, et ne laisse aucune femme indifférente. Il ne tardera pas à se lier au compte Pierre d'Alençon interprété par un Ben Affleck décoloré et jouisseur. Mais le troisième personnage principal dont il est question ici, et le plus important, c'est bien évidemment Marguerite de Carrouge, interprété par une très touchante Jodie Comer. Femme de Jean, fille d'un traître au roi de France, elle allie douceur et intelligence là où son mari manque de finesse. Sa beauté irradiante ne tardera pas à susciter la convoitise. 

Cependant, avant l'exposition des personnages, Ridley Scott a la bonne idée de nous présenter directement le conflit qui oppose Jean à Jacques. Car en effet, le film s'ouvre sur leur duel. Mais ici, le duel n'est pas entendu comme le spectacle médiéval folklorique de la joute équestre. C'est un duel à mort, car duel judiciaire pour déterminer la vérité sur une affaire. A savoir l'accusation de viol de Marguerite à l'encontre de Jacques.

Et ainsi, le film est divisé en trois chapitres. La vérité selon Jean, la vérité selon Jacques et enfin, la vérité selon Marguerite. Et ces trois chapitres reviennent chacun sur les mêmes faits, mais avec des points de vue différents et des éclairages salvateurs. La partie dévolue à Jean est saccadée, le montage enchaîne les scènes sans forcément une vraie continuité. On est dans la recension pragmatique d'informations, sans narration particulière. Ce qui correspond bien au personnage. Au contraire, le chapitre de la version de Jacques est fluide, avec une continuité cohérente et claire, qui prend le temps de présenter tous les enjeux. Enfin, le chapitre de Marguerite est riche en détails et s'attarde sur les émotions et le ressenti des personnages. La subtilité de l'entreprise étant de montrer les mêmes scènes dans des points de vue différents. Le même plan prenant alors une toute autre signification selon le narrateur. Les dialogues changeants selon les versions. Et surtout, la perception des personnages. Mais d'un point de vue réalisation, il aurait été préférable d'accentuer encore plus cet aspect, en n'hésitant pas à utiliser davantage de caméras et de prises du vue pour une même scène. Car dans certains cas, la redite est clairement redondante, la version ne changeant que à la marge d'un personnage à un autre (notamment la scène du viol).

Mais la grande force du film, c'est le débat de société qu'il suscite. Où lorsque l'on voit que les questions liées à #MeToo ne datent pas de 2017 mais de bien avant. Les difficultés actuelles à obtenir la justice après un viol sont la résultante directe de ce qui avait cours dans cette société féodale, synonyme de patriarcat puissance mille. La femme victime est avant tout suspecte, elle aurait pu tenter l'homme par une attitude trop amicale. Et quand bien même elle serait crue, ce serait à son mari de demander réparation, à elle, la société ne lui doit rien. A cette époque, un homme de pouvoir pouvait prendre ce qu'il convoitait, sans risquer grand chose. Et il valait mieux se taire que de créer le scandale. Mais en plus du silence quand on est victime, le silence dans la vie conjugale est également requis, de peur de rabaisser son mari. Il faut toujours dire oui à tout, et bien entendu, affirmer qu'on prend du plaisir dans l'accomplissement du devoir conjugal. Et l'affirmer aussi devant les médecins ou les ecclésiastiques car, sans plaisir, on le sait bien, il est impossible de concevoir. Dans cette société corsetée, gangrenée par la corruption, étouffée par la religion, la place de la femme est marginale. Et pourtant, de la place, il y en a. Comme lors du veuvage ou lorsque le mari est parti faire la guerre. Mais la force de cette histoire est d'aller à rebours de tous les obstacles dressés par cette société médiévale, de surmonter toutes les difficultés et d'offrir des enjeux dramatiques saisissants, en se plaçant clairement dans la position de la femme de cette époque.

Trente années après Thelma & Louise, Ridley Scott récidive dans un film au puissant message féministe. Car oui, le souffle épique de la chevalerie au service de la dignité d'une femme, ça claque. La séquence du duel est ainsi une scène digne des plus belles heures de Gladiator, avec un suspens et une violence à glacer le sang. Pour résumer, Le Dernier Duel, c’est le film #MeToo du Moyen-âge.

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