Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Pages

Publié par andika

En cette saison 2021/2022, le programme de l'Orchestre Philharmonique de Radio France comporte beaucoup de concerts d'abonnements, avec des tubes vus et revus. L'envie sans doute de repartir sur des bases solides après deux saisons difficiles afin de faire revenir le public. Le besoin probablement, également de revisiter certains classiques. Ainsi, pour le vendredi 22 octobre 2021 à la Maison de la Radio et de la Musique, le Sacre du printemps d'Igor Stravinsky était au programme, après une précédente exécution pour le concert anniversaire des 80 ans du Philhar en 2017. Mais lorsqu'une telle locomotive est à l'avant, c'est aussi une belle occasion de faire découvrir autres choses, avec en première partie le Septuor du même Stravinsky. Enfin, cette saison, la phalange parisienne s'est lancée dans une intégrale originale. Il ne s'agit pas de symphonies, mais de l'ensemble des concertos de Dmitri Chostakovitch. Sol Gabetta avait ouvert la voie le mois dernier avec le deuxième concerto pour violoncelle, au tour de la violoniste Karen Gomyo de prendre le relai avec le Concerto pour violon n°1 de Chostakovitch.

Karen Gomyo

La formule est maintenant connue mais elle est toujours aussi plaisante, à savoir de la musique de chambre avec les musiciens de Philhar' avant les grandes manœuvres de l'orchestre au complet. Ici, il s'agit du Septuor pour clarinette, basson, cor, violon, alto, violoncelle et piano d'Igor Stravinsky. Assemblage assez hétéroclite. Composé entre 1952 et 1954, créé en 1954, il correspond à une période où Stravinsky opérait une relecture du passé, en se fondant sur les formes classiques anciennes, avant d'opérer une transition vers le sérialisme avec notamment le ballet Agon en 1957. Composé de trois mouvements, le septuor commence par un thème lancé par la clarinette, avant de laisser place à une belle polyphonie dans l'Allegro molto initial, avant que Stravinsky ne démontre tout son art de la Passacaille dans le deuxième mouvement, où le thème sera varié à plusieurs reprises. Enfin, la Gigue qui conclut l'œuvre voit plusieurs fugues se succéder dans une effusion jouissive de polyphonie où les musiciens de l'Orchestre Philharmonique de Radio France démontrent tout leur talent d'écoute mutuelle et de justesse. On profite ainsi avec précision de tous les sons, sujets et contre sujets qui naviguent sur les différentes voix. Une exercice de style réussi pour une formidable entrée en matière.

Le magistral Concerto pour violon n°1 de Chostakovitch a été composé en 1948, en pleine période du Jdanovisme et de son réalisme socialiste. De sorte que la partition est restée dans le tiroir jusqu'en 1955. Dédié au violoniste soviétique virtuose David Oïstrakh, ce concerto est l'œuvre concertante la plus ambitieuse de son auteur. Dans le corpus des symphonies, il y a la huitième, dans celui des concertos, il y a définitivement le premier pour violon. Constitué de quatre mouvements, le concerto commence par un Nocturne douloureux, essentiellement chantant avec une ligne mélodique qui ne se distend jamais. Le début aux cordes graves à l'orchestre est plein de gravité avant que Karen Gomyo n’intervienne tout en sobriété avec son stradivarius. La profondeur du chant de son violon emplit peu à peu l'auditorium de la maison de la radio et de la musique. La soliste maintient constamment la teneur de son discours sans abuser du vibrato. De con côté, Mikko Franck suit sa soliste avec soin, la laissant s'épanouir, mais en exposant toutefois les contre-chants constants (notamment dans des timbres graves du basson du tuba et de la clarinette basse). Le Scherzo festif et sautillant contraste, un dialogue de qualité s'instaure alors entre la soliste et l'orchestre où chacun prend la balle au bond. Karen Gomyo dans la virtuosité, le Pilhar' et Mikko Franck dans des tuttis jubilatoires avec force percussions. Une dame dans l'assistance avant le concert se demandait ce qu'était une Passacaille. Stravinsky avait brièvement répondu en première partie, mais Chostakovitch donne ici un cas pratique, parfaitement exécuté par l'orchestre. La Passacaille se définit avant tout par un motif récurent répété sans cesse. Un motif qui vient des basses dans ce concerto,  répété inlassablement tout au long de cette partie. Et dans ce troisième mouvement, il est peu varié. Mais il revient sans cesse à chaque pupitre (cordes basses, tuba, basson, violons, altos, cors) avant de parvenir à la soliste qui le reprend avec un cantabile de toute beauté. Dans ses transformations, le motif revient également en pizzicati pour un moment de grâce, tout comme le sublime solo de cor anglais. Mais que serait cette Passacaglia sans la légendaire cadence ? Entre les main de Karen Gomyo, elle coule de source. On est constamment suspendu sur un fil. Tout l'auditoire, le monde entier, n'existe et ne respire, que pour entendre ce violon chanter. Tout y passe, précision, technique, musicalité, chaleur, richesse. Un grand moment, avant la conclusion, Burlesque, qui repart sur un rythme festif et dynamique, où Mikko Franck excelle ! Un triomphe ! Rarement nous aurons autant vu les musiciens de l'Orchestre Philharmonique de Radio France congratuler une soliste à l'issue d'une performance et ceci n'est que justice. Et après une si grande performance, le bis était clairement indispensable. Ce fut chose faite avec Diptych  de Samuel Carl Adams Karen Gomyo a de nouveau montré toute l'étendue de son talent.

L'entracte passé, place maintenant au fameux Sacre du Printemps de Stravinsky. Cette partition doit en partie sa notoriété jamais démentie au scandale provoqué lors de sa création au Théâtre des Champs-Elysées en 1913, sous la direction de Pierre Monteux. Commandé pour les ballets russes, après les succès de l'Oiseau de feu et Petrouchka, le Sacre devait ainsi changer l'histoire de la musique. Mais pourtant, malgré son impact non négligeable, cette œuvre n'a jamais été imitée et n'a pas créé de courant. Composé en deux parties, correspondant à des rites païens de tradition russe, le Sacre impressionne par sa diversité rythmique, les moments paroxystiques et enfin, son orchestration méticuleuse d'un effectif très fourni. Le premier tableau, L'Adoration de la Terre commence avec le célèbre solo de basson. Les pupitres entrent ensuite tranquillement en action. Mikko Franck privilégie l'équilibre des plans sonores aux effets, au détriment de la force. Le rythme martelé aux accents syncopés de des Danses des adolescentes est ainsi moins violent qu'on pourrait l'imaginer, mais il n'en est pas moins intense. Ce qui crée vraiment le plus grand effet dans cette interprétation, c'est que absolument rien n'est fait pour atténuer les dissonances. Il s'agit ici d'un effort au long cours, comme un marathon. Les agressions rythmiques deviennent ainsi de plus en plus oppressantes, notamment dans les Rondes printanières qui viennent saturer les tympans. Le second tableau, intitulé Le Sacrifice est un exercice d'équilibriste. Mikko Franck, très rigoureux, donne chaque départ, anticipe tout. Le Philhar', précis et formidablement bien préparé répond parfaitement, avant de culminer dans l'ultime transe qu'est la Danse sacrale avec ses inquiétants appels des trompettes sur des degrés chromatiques descendants. Une transe, un rituel, mais surtout, un grand plaisir devant une telle oeuvre qui ne peut jamais laisser indifférent. Sacrée soirée !

Programme du concert du vendredi 22 octobre 2021 à la maison de la radio
IGOR STRAVINSKY
Septuor

DIMITRI CHOSTAKOVITCH
Concerto pour violon et orchestre n°1 en la mineur, op. 77/99

IGOR STRAVINSKY
Le Sacre du printemps

KAREN GOMYO violon
AMANDINE LEY violon
FANNY COUPÉ alto
NICOLAS SAINT-YVES violoncelle
LILIAN HARISMENDY clarinette
JULIEN HARDY basson
HUGUES VIALLON cor
GÉRALDINE DUTRONCY piano

ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE RADIO FRANCE
MIKKO FRANCK direction
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article