Troublante Bérénice à Garnier
Je n'avais absolument pas prévu d'aller écouter l'opéra Bérénice à Garnier ce dimanche 14 octobre 2018. Cela doit être dit. Pas trop mon répertoire de prédilection, trop moderne, pas assez flamboyant, trop sombre, bizarre, inconnu au bataillon. Personnellement ce que j'aime à l'opéra, c'est ce qu'il y a de plus kitsch et de plus caricatural. Donnez moi du Verdi, donnez moi du Rossini, donnez moi du Mozart et je serai content au moins musicalement. Mais Michael Jarrell ? Qui est ce compositeur ? Je sais juste qu'il a à peu près l'âge de ma mère.
Bérénice en revanche, je connais de nom. Bien que je ne l'ai jamais lue, je sais qu'il s'agit d'une pièce de théâtre de Racine. Cela commençait un peut à égayer ma curiosité. Vous allez rapidement comprendre que le contexte qui m'a conduit à entendre cet opéra s'avère plus intéressant que l'expérience en elle-même une fois dans la salle.
Tout a commencé dimanche donc. A 12h46, mon pote me propose d'aller voir Bérénice à Garnier le jour même et qu'il faut pouvoir y être à 14h. Genre de plan assez périlleux avec moi un dimanche matin (oui, c'est le matin 12h46 le dimanche). Je réponds naturellement que je ne peux pas, que je n'y serai jamais à temps. Mon pote avoue tout de même que c'est un peu long shot. Et cette expression m'a un peu égayé puisque la fois précédente qu'on m'a fait une proposition un peu long shot, je l'ai acceptée et j'ai passé ma foi un très bon moment. Il insiste donc, m'envoie le lien vers le site de l'opéra de Paris. Et là, je constate que Barbara Hannigan chante dedans et que c'est dirigé par Philippe Jordan himself, le directeur musical de l'opéra. Je n'avais jamais eu ses honneurs lors de mes précédentes visites. Deux arguments de poids qui m'ont convaincu. De plus, j'ai constaté que l'opéra ne durait "que" 1h30. Je suis finalement arrivé à Garnier à 14h14, car en effet, le début était à 14h30, ce qui a fini de me convaincre de venir. Et lorsque j'ai récupéré la place, j'ai compris rapidement pourquoi mon ami avait tant insisté, à 140€ pièce, il aurait été très dommage qu'elle se perde. Comme maman était malade, c'est moi qui en ai "profité". Voilà pour le contexte.
L'opéra français se caractérise souvent par la mode du parler/chanter. Pelléas et Melisande de Debussy en est un bon exemple. Bérénice s'inscrit dans cette veine. Mais l'écriture musicale ici est beaucoup plus "moderne", en d'autres termes, beaucoup moins tonale... Pour le dire clairement, cet opéra réunit un aréopage d'excellent chanteurs au rang desquels Bo Skovhus en Titus et évidemment Barbara Hannigan, qui a notamment remporté récemment un Grammy. Elle est la cause principale de ma venue. Parce qu'elle est aussi cheffe d'orchestre, parce qu'elle est charismatique et que surtout, sa voix est magnifique. J'aime tout chez elle et surtout sa voix (oui, oui sa voix). Mais l'écriture musicale ici a causé en moi un torrent de frustration avant que cela ne cède à l'ennui. L'orchestre est très en retrait sauf à de très rares passages. Et les voix sont écrites pour frustrer visiblement. On entend le début d'un ver, on attend une certaine note pour le continuer mais cette note n'arrive jamais, pire, la note qui arrive finalement va à l'opposé des attentes. Dissonances, chromatismes, tout cela fait perdre irrémédiablement l'attention de l'auditeur, pas forcément bien frais après un samedi soir un peu arrosé.
Pourtant, l'argument avait tout pour plaire. Bérénice a le don de rendre les hommes fous. En effet, Titus, personnage qui semble assez important à Rome en est épris, tout comme Antiochus ( chanté par Ivan Ludlow)! Et Bérénice semble aussi aimer les deux et a du mal à se décider. Cela commence avec un beau tableau où chaque personnage occupe un tiers de la scène dans des décors somptueux. Des costumes de très belles factures, assez sombres, sauf pour Bérénice qui elle porte une nuisette rouge au début, avant que ses vêtements ne s'assombrissent peu à peu. En gros, au début Bérénice penche pour Antiochus mais il fait une petite gaffe donc elle retourne vers Titus, mais lui veut la larguer parce que sinon, la situation risque de s'envenimer à Rome, et au lieu d'assumer et de lui dire directement, il envoie comme messager le fameux Antiochus ! Allez comprendre quelque chose ! Bérénice scande à un moment ces vers totalement dingues qui résument bien la situation:
Sur Titus et sur moi réglez votre conduite.
Je l'aime, je le fuis : Titus m'aime, il me quitte.
Ces vers résument bien la complexité de la chose. Et bien entendu, la musique sera tout aussi paradoxale. Dans ce sens, elle a bien saisi le thème de la pièce.
Pourtant, les chanteurs ne déméritent pas, ils livrent une prestation physique assez remarquable, on voit par exemple Barbara Hannigan chanter allongée sans que cela n'affecte la projection de sa voix. On la voit sauter sur Titus, courir, sans que cela n'affecte davantage sa performance vocale. De plus, le jeu d'acteur des chanteurs est assez convaincant, on sent leurs tourments même si le personnage de Phénice chanté par Rina Schenfeld parle en hébreu, pour rappeler à Bérénice ses origines selon le compositeur. De plus, les voix du chœur enregistrées amènent enfin de la vraie musique.
En conclusion, je ne remets absolument pas en cause ici l'investissement des chanteurs, des décorateurs, des costumiers, mais je m'interroge sur l'intérêt de programmer ce genre d'opéra, surtout à ces tarifs prohibitifs. C'est moderne ? C'est en français ? Mais où est le plaisir ? Pourquoi supprimer de bonnes productions de l'affiche de l'opéra de Paris pour faire de la place à ce genre d'objet qui n'en satisfera que très, très peu, surtout parmi les passionnés d'opéra ! Alors il me vient à l'esprit une citation d'Oscar Wilde quand on lui demandait si une de ses pièces allait plaire au public: "Quand une pièce qui relève de l'art est produite sur scène, ce qui est soumis à examen, ce n'est pas la pièce, mais la scène. Quand une pièce qui ne relève pas de l'art est produite sur scène, ce qui est soumis à examen, ce n'est pas la pièce, mais le public."
Donc si cet opéra relève de l'art, je suis totalement resté étranger à ce qui se tramait sur scène et c'est normal. S'il ne relevait pas de l'art, je pense avoir échoué en tant que public car je suis resté assez neutre quant à tout ça. Enfin, j'espérais seulement que ça se termine le plus rapidement possible.
Toutefois, pour la première fois de ma vie, j'ai investi dans le programme de l'opéra vu qu'on m'avait offert la place, j'essaie encore d'élucider le mystère de ces 1h30 de ma vie.
Cette manie du parler-chanter dans l’opéra français ne cessera jamais de m’étonner et de me frustrer... Bon, je dois vous avouer que je n’ai pas été éveillé tout le long. Mais cette Berenice a le don de rendre les hommes fous apparemment. pic.twitter.com/sZvcfbmP7D
— Andika 🇫🇷⭐️⭐️ (@Nyantho) 14 octobre 2018