La radicalité de Maxim Emelyanychev à la tête du Philhar' dans Mozart et Beethoven
Maxim Emelyanychev est un jeune chef d'orchestre et pianiste russe plein d'enthousiasme et plein d'idées. Ce dernier a enregistré une intégrale des symphonies de Mozart avec l'orchestre Il Pomo d’Oro avec des cordes en boyaux, archets baroques et cors naturels. Ainsi, à la lecture du programme du concert de l'Orchestre Philharmonique de Radio France du jeudi 28 mars 2024 à l'auditorium de la Maison de la Radio, on se dit qu'il sera possible que l'on sorte des sentiers battus. Même si les œuvres proposées sont on ne peut plus connues, avec tout d'abord le Concerto pour piano n°20 en ré mineur, K. 466 de Mozart, puis la Symphonie n°3 "Héroïque" en mi bémol majeur, op. 55 de Beethoven.
Maxim Emelyanychev dirigeant l'Orchestre Philharmonique de Radio France lors de la générale (© Christophe Abramowitz / Radio France)
Le Concerto pour piano n°20 de Mozart est celui qui a été le plus joué du compositeur aux 19ème et 20ème siècles. On compte parmi ses admirateurs Beethoven et Mendelssohn qui ont chacun laissé une cadence. On l'entend également à de nombreuses reprises dans le film Amadeus. Et pourtant, Maxim Emelyanychev parvient à en faire quelque chose de résolument neuf. A la tête d'un Orchestre Philharmonique de Radio France en petit comité, avec simplement six premiers violons (le reste de la troupe étant mobilisée pour un concert dédié à Wagner le lendemain), le chef et pianiste façonne un son tout à fait étonnant et singulier. Avec quelques ingrédients bien sentis. Tout d'abord la présence de cors naturels aux cuivres, des timbales en peau et enfin, l'utilisation d'un piano de 1863, tout droit venu d'Amsterdam, et qui nous ramène directement deux siècles en arrière. Et surtout, aucun vibrato aux cordes. Tout cela occasionne comme l'a dit Benjamin François en prélude du concert, un festival de couleurs. Et ce festival débute même avant le concerto. Lorsque Maxim Emelyanychev arrive sur la scène de l'auditorium, ce dernier salue Hélène Collerette, premier violon solo du Philhar' puise se place au piano. Etrange initiative dans la mesure où il est bien connu que le Concerto pour piano n°20 commence avec une grande introduction exclusivement orchestrale, pleine de syncopes. Et pourtant, ce que l'on voit et que l'on entend, c'est un pianiste, jouer calmement des gammes, sur un charmant piano ancien, au son quelque peu suranné. Une sorte d'échauffement, plein de fantaisie et de surprises, avant qu'il ne se retourne vers son orchestre et le lance effectivement dans le concerto prévu. On sent d'emblée la tension dans le début de l'allegro. Mais aussi, une certaine douceur dans les coups d'archet très contrôlés, qui attaquent les notes avec délicatesse. Avec le petit effectif, l'ambiance est résolument chambriste, les cors naturels donnent une coloration rococo à l'ensemble. Les couleurs sont sèches, le son est opaque, la moindre note tenue va être appréhendée Messa di voce mettant ainsi en valeur les dissonances entre les pupitres. Et quand le piano rentre, on est d'abord frappé par le rubato de Maxim Emelyanychev. Le son de son instrument s'accorde parfaitement avec le style imprimé à l'orchestre, et surtout, les couleurs particulières. Ce que l'on ressent à l'écoute de cette interprétation, loin des canons esthétiques du 20ème siècle, avec notamment un gros son aux cordes, c'est que ici, on sent que la fabrication de chaque note, de chaque son, est artisanale. Rien ne nous est donné facilement. Chaque intonation interpelle. Notamment dans la cadence de son cru, fantaisiste, pleine d'arpèges fusantes et de variations des thèmes de l'Allegro. La Romance est prise ensuite sur un tempo assez vif. On ne lambine pas, bien au contraire, il s'agit ici d'une romance à la hussarde. Ainsi, la partie en sol mineur, prise au piano très staccato est jouée sans emphase aucune, et propose de nouveau des couleurs qui ne sont pas romantiques. Une fois de plus, ici, c'est l'artisanat, la radicalité fascinante d'un chef qui refuse la facilité. Enfin, le Rondo. Dans ce Finale, pour la seule fois du concerto, Maxim Emelyanychev se lève pour diriger le Philhar' ! L'intensité qu'il imprime dans le thème au piano, il a transmet par la suite avec force geste à l'orchestre qui se lance alors dans une course à l'abîme. On apprécie ici les ruptures de tons, les passages abruptes du piano au forte, qui ne cessent jamais de désarçonner l'auditeur, pour une interprétation magistrale et pleine de sève d'une œuvre pourtant, que tout le monde connait par cœur. En bis, Maxim Emelyanychev a proposé la Rêverie n°7 des Kinderszenen de Robert Schumann, faisant preuve d'une grande délicatesse.
Après l'entracte, une autre œuvre qu'on ne présente plus, à savoir l'Eroica de Beethoven. Et chose étonnante, quand on observe le plateau, on ne voit pas d'estrade prévue pour le chef. Maxim Emelyanychev vient se placer debout, au milieu des musiciens. Le public l'accueille avec des applaudissements, et sans même attendre que ces derniers se soient tus, voici que le chef lance les deux fameux premier accords parfaits de mi bémol majeur de la symphonie ! Quelle entrée en matière tonitruante ! Dans le premier thème, le contrechant des seconds violons se fait entendre. Les attaques sont franches sans toutefois être brutales, les coups d'archets sont de nouveau assez retenus, le vibrato absent. Le chef opte résolument pour la sécheresse et l'âpreté, tout ce qui est épique est atténué. Au contraire, plus que l'élan global, et l'ampleur du son, on privilégie ici les conflits de rythmes, les dissonances et les syncopes. Le parti pris est toujours celui d'interpeller l'auditeur. Cette sécheresse se retrouve dans la marche funèbre qui avance résolument. Les bois ont le monopole de l'élégiaque et de l'émotion là où les autres pupitres grincent. Le Scherzo présente des cordes atténuées, presque en sourdines. Les contrastes dynamiques sont saisissants, et on dénote des passages abruptes de la nuances piano à la nuance forte. Le Finale enfin, sublime thème et variations permet à chaque pupitre de briller, et de faire entendre une dernière fois ces couleurs singulières et des rapports de forces inhabituels entre les différents pupitres, notamment dans les passages fugués absolument fabuleux.
En conclusion, Maxim Emelyanychev a fait des débuts tonitruants à Paris. Il a démontré qu'en prenant deux œuvres bien installées dans le répertoire, on pouvait faire vivre une expérience unique à l'auditeur, et lui faire entendre des choses insoupçonnables dans ce qu'il pensait connaître. En prenant un petit groupe de musiciens de l'Orchestre Philharmonique de Radio France, prêt à la suivre dans sa vision radicale, le chef a fait merveille. Et les musiciens semblaient ravis, refusant notamment de se lever lors des saluts, en forme de respect. On a souvent crainte de devenir blasé à force d'entendre souvent les mêmes œuvres, mais Maxim Emelyanychev prouve qu'il est toujours possible d'avoir un regard neuf. Et il a offert au public de l'auditorium sans doute un des concerts les plus mémorables de ces cinq dernières années.
Concert disponible à l'écoute pendant un mois sur Radio France
Wolfgang Amadeus Mozart Concerto pour piano n° 20 en ré mineur, K. 466 Ludwig van Beethoven Symphonie n°3 "Héroïque" en mi bémol majeur, op. 55 Maxim Emelyanychev piano Formation Orchestre Philharmonique de Radio France Maxim Emelyanychev direction |
Maxim Emelyanychev est un baroqueux russe. Ce qui est un cocktail radical. Son Eroica est sans vibrato, avec des cors naturels, des coups d’archets secs, des ruptures de ton incessantes, des tempi toujours vifs. Il a métamorphosé le son du @PhilharRF pour une expérience unique ! pic.twitter.com/5Huy5WHEex
— Andika (@Nyantho) March 28, 2024
Maxim Emelyanychev a proposé une version radicale du Concerto pour piano n°20 de Mozart à la tête d’un @PhilharRF métamorphosé. Historiquement informé, sans aucun vibrato ni pathos. Des ruptures de tons, des tempi allants mais surtout, des couleurs uniques. Fascinant ! pic.twitter.com/vLPGHkkbch
— Andika (@Nyantho) March 28, 2024
Beethoven, Symphonie " Héroïque " / Maxim Emelyanychev | Maison de la radio et de la Musique
Maxim Emelyanychev est un peu comme un couteau suisse. Demandez-lui de jouer un concerto de Mozart (le 20e), il le dirigera aussi; attelez-le à une sonate de Brahms ou aux opéras de Haendel dont il