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Publié par andika

Quand on pense aux Etats-Unis, on évoque souvent la notion de rêve américain dans cette contrée de tous les possibles. Un optimisme forcené où tous les projets les plus fous seraient à portée de main, à condition bien entendu de travailler dur afin d'obtenir le succès. Pourtant, il convient parfois de tempérer ce fantasme d'Amérique et de regarder un peu dans les yeux cette société jeune, et non moins complexe. L'Amérique échoue parfois et voit le rêve se briser devant la triste réalité. Ainsi, le théâtre de Tennessee Williams est une porte d'entrée passionnante dans les entrailles de cette société. Dans La Ménagerie de Verre, une pièce assez personnelle, il y évoque de manière assez directe l'histoire complexe de sa famille dans le Sud des Etats-Unis, à Saint-Louis, Missouri, dans le début du XXème siècle. La force de la proposition de mise en scène de Patrick Alluin est de nous faire ressentir viscéralement la mélancolie qui se dégage du texte (admirablement traduit par Isabelle Famchon), les regrets d'un passé qui hante le narrateur, Tom, avatar de l'auteur.

Affiche de la pièce

Une mise en scène au service de l'émotion

Chaque détail compte dans la mise en scène de Patrick Alluin. Tout d'abord dans sa manière d'occuper l'espace intimiste du théâtre Essaïon avec sa salle au plafond concave, qui nous enveloppe et aide à créer un sentiment d'intimité. Le premier rang de sièges étant dévolu à l'espace scénique pour figurer une terrasse, le personnage de Tom, le narrateur, s'adressant directement au public après avoir allumé la lumière à l'aide d'un petit feu. Nous ne sommes pas au théâtre mais directement dans la pièce où se déroule l'histoire. Ainsi, une fois entré en scène, on ne distingue plus trop l'évocation de l'action, on se demande si les personnages à la porte en ombre chinoise sont vraiment là ou appartiennent au passé. On s'imprègne de cette histoire qui exhale la nostalgie avec ces costumes usés, ces accessoires modestes et cette photo du père absent qui trône au milieu de la pièce. Enfin, la lumière et son usage, servent la dynamique générale de la mise en scène, notamment lorsque le plateau n'est plus éclairé qu'à la bougie.

Croquis de la Ménagerie de verre (issu du dossier presse)

Croquis de la Ménagerie de verre (issu du dossier presse)

Les sentiments des personnages

Cette pièce se distingue par les sentiments des personnages qui sont offerts sans filtre. Notamment avec l'usage d'un narrateur qui s'exprime souvent en aparté dans des monologues. Et cette mission échoit au personnage de Tom, le fils, interprété par Léo Lebesgue, qui communique tout ce qu'il y a de frustration et d'amour dans la position de cet homme, dévoué aux deux femmes de sa vie, au détriment de la sienne, après le départ de son père, qui a fait reposer sur ses épaules le rôle de chef de famille. La mère Amanda Wingfield, interprétée par Agnès Valentin, quant à elle, exprime constamment la nostalgie de ses jeunes années où elle était courtisées par de beaux garçons. Mais on perçoit également dans l'interprétation toute l'inquiétude que cette femme a pour l'avenir de ses enfants (qu'elle a tendance à étouffer), notamment celui de sa fille légèrement infirme, Laura. Interprétée par une convaincante Sarah Cotten, au boitillement discret et à la timidité maladive et qui ne cherche pourtant qu'à être apprivoisée. En dépit des complexes du personnage. Enfin, Jim, le promis à Laura selon sa mère. Interprété par Pablo Gallego, bombe d'optimisme, d'ambitions et d'énergie communicative. 

Une pièce qui fonctionne à merveille

Le but de ce texte est d'émouvoir le spectateur et si on juge cette proposition à l'aune de cet objectif, on peut dire qu'il est atteint. Et de surcroit, on a droit aussi à un vrai spectacle avec tous les ingrédients que l'on aime au théâtre. Une mise en scène dynamique, un sens du rythme assez développé avec des musiques illustratives bien choisies, et surtout, des comédiens impliqués qui semblent vraiment prendre beaucoup de plaisir à jouer ensemble. Et pour le coup, cela se ressent immédiatement et participe au succès de la proposition. La Ménagerie de Verre est le lieu de tous les possibles pour le personnage de Laura, elle entretient ses petites pièces fragiles avec amour. Et c'est la fragilité de cette ménagerie qui en fait la beauté, car il faut fournir beaucoup d'attention pour la préserver. Cependant, le verre brisé, comme le rêve brisé, permettent d'atteindre des émotions qui n'existeraient pas dans un monde où rien ne se casse. Tout est alors question d'équilibre, et c'est bien ce que cette pièce montre.

Représentation du 8 juillet 2021 de La Ménagerie de Verre

Auteur : Tennessee Williams / Traduction : Isabelle Famchon

Mise en scène : Patrick Alluin

Costumes: Pauline Pénelon

Scénographie: Thierry Good

Lumières: Eric Charansol

Avec : Sarah Cotten, Pablo Gallego, Léo Lebesgue, Agnès Valentin

Tous les jeudi, vendredi et samedi au théâtre Essaïon à Paris jusqu'au 31 juillet 2021

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