Les Moissons du ciel : Un entre deux mélancolique
Les Moissons du ciel (Days of Heaven en VO) du légendaire Terrence Malick, est un film captivant, fascinant, troublant, touchant et enfin sensoriel. D'une durée assez ramassée (1h35) en comparaison de ce que le réalisateur fera par la suite, ce dernier a quand même le temps de poser sa caméra ça et là pour nous montrer la nature dans des passages contemplatifs dont il a le secret.
Le scénario et la narration (hormis les incises de contemplation) sont de facture assez traditionnelle et pourtant, la puissance poétique est omniprésente. Dès le générique d'entrée magistral, présentant des photos d'époque (le mandat de Thomas Woodrow Wilson de 1913 à1921, ce dernier apparaissant même dans le générique), sur la musique du Carnaval des animaux de Saint-Saëns.
Nous suivons les aventures de Bill (magnifique Richard Gere), Abby (excellente Brooke Adams) et Linda (Linda Minz, touchante narratrice en voix off). Ils vivent la vie des classes pauvres du début du 20ème siècle aux États-Unis (celles là même que l'on voit dans le générique). Menant une existence itinérante au gré des saisons et du travail. Tout d'abord dans la torpeur de la ville et le cadre oppressant d'une aciérie au cœur de l'industrie. Où la déshumanisation est en marche tant la chaleur des fours semble consumer les âmes des hommes.
Mais bientôt, c'est le retour à la nature. Les dialogues d'abord silencieux, vont ici se faire entendre. Le travail aux champs. La récolte du blé. Les animaux à perte de vue. Les ruisseaux où l'on va s'amuser. Le dur labeur dans ces larges espaces filmés magnifiquement par Malick (et soulignons également la photographie remarquable de Néstor Almendros), dont les plans rendent infinie la ligne d'horizon. Et là, dans cette campagne texane, l'élément perturbateur. Un riche fermier interprété par un magnifique Sam Shepard, jette son dévolu sur Abby. Bill et elle pensent qu'il ne lui reste que peu de temps à vivre et pouvoir tirer profit de la situation. Et c'est là que les ennuis commencent pour les deux amants qui se font passer pour frère et sœur.
Malick use du dialogue avec parcimonie, préférant transmettre les informations essentielles de l'intrigue par l'image. Et il s'agit ici d'un procédé très efficace et éminemment plus poétique que les simples mots dits par les comédiens. Le film est toujours dans un entre deux. Entre la narration traditionnelle et la contemplation. Entre la ville et la campagne. Et de façon plus directe, entre le bien et le mal. Mais point de massage messianique ici, contrairement aux films ultérieurs. Un film à hauteur d'homme. La musique de Morricone renforçant cet ancrage.
Les Moissons du Ciel, c’est brillant. Une fois de plus la narration particulière de Malick fait mouche. C’est lent certes mais c’est très éloquent. Les dialogues, ce sont les images. Aucune réplique superflue. Ce contraste entre la nature vierge et la nature calcinée. Opposition également entre être une ferme texane aux couleurs chaudes et la froideur du monde urbain de Chicago. Et c'est bien le message. Chacun a une part de lumière et une part d’ombre. Et l’image montre tout cela de façon très puissante dans ce drame.