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Publié par andika

L'idée de faire un film au sujet du personnage du Joker, sans le Batman pour le compléter, pouvait paraître incongrue au premier abord. En effet, l'un ne va pas sans l'autre. On a le héros et son Némésis. Et pourtant, au fur et à mesure de l’évolution du projet de Todd Philipps, à qui l'on doit l'inoubliable trilogie Very Bad Trip (laugh), ce film s'est imposé comme une évidence. Primé au festival de Venise 2019. Performance de Joaquin Phoenix dans le rôle titre saluée de tous. Il n'en fallait pas plus pour balayer le scepticisme de votre serviteur.

Même s'il s'agit d'une énième itération du personnage après des performances légendaires (on n'oublie pas Heath Ledger dans The Dark knight comme cela), il n'est jamais inutile de remettre ce phénomène sur le métier. De tout temps, la folie a fasciné. L'Histoire de la folie à l'âge classique de Michel Foucault a fait école et continue de nous influencer aujourd'hui. Et ce film se présente un peu comme une thèse sur la folie et ses causes.

Car oui, raconter les origines d'un personnage comme le Joker ne présente en soi que peu d'intérêt, mais le faire en essayant de soutenir un discours, cela s'entend davantage. Même si ce discours est un peu binaire, simpliste et manichéen. En gros, il y a des riches, et il y a des pauvres à Gotham, et si les pauvres souffrent, c'est de la faute des riches. Cela peut se décliner également en les riches sont méchants et les pauvres sont gentils. Et comme cela, on peut justifier tout un tas d'écarts dans le contrat sociale, et légitimer la violence. Mais fort heureusement, cette thèse est un prétexte.

Le monde exposé ici laisse transparaitre un manque. Manque d'amour, d'affection pour le personnage du Joker, aka Arthur Fleck, qui voit peu à peu son monde s'écrouler et devient le sociopathe que l'on connait. Son rachitisme est l'allégorie de ce monde décharné qui ne laisse que peu de perspectives aux uns et aux autres. Mais la plus grande absence de ce film est celle du Batman. Sans Bruce Wayne, le Joker est orphelin. Sans antagoniste, il s'en prend finalement à la société toute entière sans pouvoir être freiné.

Et lorsqu'une force irrésistible ne trouve aucune opposition, lorsqu'un sociopathe comme ce Joker n'est pas entravé, le chaos n'est jamais loin. Même si cette version est inédite et autonome des autres films, on ne peut s'empêcher de voir des similitudes avec le Joker de The Dark Knight. Notamment avec la citation variée d'un plan du Joker installé à l'arrière d'une voiture, la tête près de la fenêtre. Mais surtout, dans leurs similitudes à vouloir faire sombrer la société toute entière dans l'anarchie. Par pure plaisir nihiliste pour l'un, par désarroi occasionné par l'abandon pour l'autre.

La question sociale est prégnante et à l'époque des gilets jaunes, on appréhende de mieux en mieux les mécanismes de l'action contestataire qui peut parfois dériver vers la violence. Mais ce Joker a de l'avance. Beaucoup d'avance, avec un humour tellement noir qu'il cesse d'être drôle. Une froideur effrayante. Des vies ôtées sans la moindre émotion.

Critique d'une société où l'individualisme prime, société du spectacle où l'on se moque des faibles (excellent Robert De Niro en animateur de talk show), on en vient finalement à en détourner les codes pour en montrer les travers et montrer ce qu'il y a de plus effrayant en chacun de nous. En effet, dans une émission en direct, tout peut arriver, surtout lorsqu'on a le Joker sur le plateau.

Joaquin Phoenix montre encore tout son talent pour jouer les personnages dérangés, mais il amène tellement plus que la folie, il y amène aussi une performance physique remarquable, une densité, et des nuances qui font prendre vie à un Joker très, très convaincant. Enfin, la direction artistique et la réalisation nous montrent un monde froid, sinistre, en accord avec la vision du réalisateur, et surtout, en accord avec une certaine réalité. Un film étonnement sérieux pour un personnage se faisant appeler le Joker !

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