JSA: La frontière artificielle
Vous n'avez probablement jamais entendu parler du film JSA de Park Chan-Wook, réalisateur du remarqué Old Boy. J'étais moi-même dans ce cas jusqu'à une date très récence, avant d'écouter l'épisode 61 de Super Ciné Battle. J'ai donc décidé de ce pas d'aller voir ce film. JSA comme Joint Security Area, qui est la frontière entre les deux Corées, gardé par des soldats des deux belligérants mais aussi par une force neutre composée de soldats suisses et suédois. J'avais lu un fabuleux papier à ce sujet dans le magazine Society l'année dernière mais il ne mentionnait pas ce film, et c'est bien dommage. En effet, JSA est sorti en Corée en l'an 2000. Et il sort ici en France pour le première fois à l'été 2018 ! Et pourtant, le cinéma coréen déçoit rarement. De PCW, on se souvient du troublant Stoker par exemple. Et plus récemment, la Corée nous a offert un Dernier train pour Busan.
JSA est un film immense. C'est dit. L'histoire est simple, deux soldats nord coréens sont abattus de leur côté de la frontière par un soldat sud coréen, qui avoue le crime. Mais devant les tensions que la situation engendre, une enquête internationale est diligentée, menée par une suissesse, d'origine coréenne alias Sophie Jean (sublime Yeong-ae Lee), et un officier suédois. Très rapidement, on se rend compte que les déclarations des différents protagonistes n'ont aucun sens, et qu'il y a anguille sous roche. On comprend ce qui ne va pas mais ça ne révèle pas pour autant la vérité. De nombreux flashbacks viennent palier ce qui est lacunaire dans un style de Rashomon. L'histoire de ce film est tellement banale que avec une mise en scène moins inventive, le résultat aurait pu être médiocre. Au contraire, ici, que ce soit la scène clef montrée à travers les yeux d'un hiboux, le cadre suggérant constamment l'idée de frontière, ou la caméra complice de ses protagonistes; on sent à chaque plan un réalisateur partie prenante. Il ne montre rien par hasard, et est véritablement acteur de cette histoire. On comprend rapidement que la vérité n'est pas dite et lorsque le fin mot de l'histoire est révélée dans un flashback central plus long que les autres, au lieu d'apporter une résolution, cela crée de nombreux problèmes. En effet, la fraternisation étant strictement interdite, comment soulager sa conscience en raconter une vérité inavouable ? Ainsi, on découvre avant tout l'histoire d'une amitié naturelle, humaine, entre des soldats du nord et du sud qui ne forment définitivement qu'un peuple, une famille et se découvrent de nombreux points de convergences. C'est ici que le film fait curieusement écho avec une actualité récente et n'en a que plus de pertinence. En oubliant la politique et la propagande, la banalité de ces hommes et leurs interactions deviennent les choses les plus belles au monde, beaucoup d'humour et de tendresse ressort de nombreuses séquences mais la tension ne retombe jamais. Sachant que le spectateur est constamment au courant de l'inévitable puisque l'incident a déjà eu lieu dès le début du film. Et pourtant, là est le tour de force, on croit tout savoir, tout comprendre alors qu'on ne sait rien. La frontière entre le nord et le sud semble artificielle mais il n'en est rien, elle s'efface pour mieux nous revenir à la figure dans un suspens insoutenable qui ne cesse pas jusqu'aux derniers instants. Le dernier plan est éloquent, entre ce que l'on voit, ce que l'on croit voir et la réalité. Une même image peut prendre de nombreux sens une fois qu'on connaît le fin mot de l'histoire. Un pied de nez mi humoristique mi tragique et pleinement brillant.
On s'attache à chacun de ces personnages, même si l'unique personnage féminin semble un peu effacé, il a le mérite de représenter l’œil du spectateur. Mais comment ne pas saluer les performances de Song Kang-Ho et Lee Byung-Hung qui sont si touchantes, intenses, poignantes. Même si c'est la Corée, même si c'est loin, même si on est étranger à cette langue, à cette culture, on trouvera ici des frères en humanité. Ainsi, ce film est la preuve que les frontières n'existent que dans nos têtes mais qu'il ne tient qu'à nous de ne pas en tenir compte.