Fanon: Le feu sous la peau
Il y a des films biographiques qui veulent tout dire et finissent par ne rien raconter. Et puis il y a Fanon, de Philippe Bernard & Jean-Claude Barny, qui choisit une focale précise — celle des années algériennes du psychiatre martiniquais — pour mieux cerner la pensée d’un homme incandescent. Un film audacieux, habité, où chaque plan semble réfléchi pour rendre sensible le fracas intérieur de Frantz Fanon, médecin de l’âme et analyste de la décolonisation.
Dès la première séquence, le ton est donné : sur fond de percussions hypnotiques, des enfants martiniquais capturent des crabes pendant les fêtes de Pâques. Rite initiatique ? Écho d’un passé colonial ? Simple scène de vie ? Le film ne répond pas, mais pose les jalons d’un puissant réseau de symboles. On apprend que c’est un crabe qui griffa le visage de Fanon, lui laissant sa fameuse cicatrice. Plus tard, il sera atteint d’une leucémie, un cancer du sang — cette maladie que l’on surnomme, dans une ironie cruelle, « le crabe ». Le cercle est tracé. Pas un simple biopic : Fanon est une fresque intérieure, symbolique et sensorielle.
Le cœur du récit bat à l’hôpital psychiatrique de Blida, en Algérie, où Fanon exerce dans les années 1950. Là, il découvre une médecine coloniale gangrenée par la ségrégation. Les patients européens d’un côté, les "Arabes" de l’autre. Il observe, il s’indigne, il agit. Fanon y invente une nouvelle façon de soigner, de considérer l’autre. Et ce que Peau noire, masques blancs analysait avec précision, le film le fait vivre sous nos yeux, avec la puissance du cinéma.
Ses écrits, justement, jalonnent le film comme des éclats de pensée, murmurés, récités, incarnés. Mais ce n’est que dans une scène bouleversante, vers la fin, que l’on comprend vraiment ce que Fanon est en train de faire depuis le début : écrire Les Damnés de la Terre. Ce moment de révélation, intime, calme, presque suspendu, a lieu dans une chambre, face à sa femme. Il lui souffle le titre. Et soudain, tout prend sens. Le film devient alors la genèse d’un texte fondateur. Une graine de colère, de lucidité, et d’espérance plantée dans le tumulte de la guerre d’Algérie.
Déborah François, dans le rôle de Josie Fanon, apporte beaucoup à cette séquence et plus largement à l’équilibre du film. Elle incarne avec finesse une figure que l’histoire a trop souvent laissée dans l’ombre, mais qui fut bien plus qu’une épouse : une présence intellectuelle, affective et politique. Leur relation, pudique mais intense, donne une chair supplémentaire au film.
Le Fanon d’Alexandre Bouyer, lui, est une vraie réussite. Charismatique sans être théâtral, nerveux sans excès, il campe un homme habité par une mission, tiraillé par ses idéaux et ses contradictions. Il est à la fois le médecin, le militant, le penseur. L’homme.
Et puis, ce dernier plan — sublime, funèbre, bouleversant — vient refermer le récit comme une prière. On y ressent tout ce que Fanon laisse derrière lui : une pensée vive, toujours à vif. Une pensée qui brûle encore aujourd’hui.
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Frantz Fanon, un psychiatre français originaire de la Martinique vient d'être nommé chef de service à l'hôpital psychiatrique de Blida en Algérie. Ses méthodes contrastent avec celles des au...
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