The Brutalist: Le monolithe cinématographique
The Brutalist est un film monumental, massif, brut, presque écrasant — un objet cinématographique qui ne se laisse pas apprivoiser facilement. Sur plus de trois heures (avec entracte), Brady Corbet nous plonge dans une fresque ambitieuse, à cheval entre les époques, les paysages et les perceptions. Il construit avec patience un récit aux dimensions vertigineuses pour raconter, au fond, une histoire assez simple : celle de László Toth, architecte hongrois, qui émigre aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale pour tenter de se reconstruire, littéralement et figurativement. Adrien Brody, habité, retrouve ici la gravité et la grâce qui faisaient déjà la force de son Pianiste.
Mais cette nouvelle vie rêvée se heurte rapidement à une série d’obstacles — hétérogènes, insidieux, et souvent invisibles. Là où l’antisémitisme nazi était frontal, brutal, sans détour, celui qui gangrène l’Amérique d’après-guerre est plus diffus, plus pernicieux. Ce qui aurait pu devenir une épopée classique du rêve américain se transforme en une suite de déconvenues, de compromis douloureux et de promesses avortées.
Et pourtant, on veut y croire. On veut croire à ce tournant, lorsque László renoue avec l’élan créatif de son passé, porté par la commande d’un mécène providentiel — Harrson Van Buren, campé par un Guy Pearce aussi mystérieux que troublant, quelque part entre le charme carnassier d’un Brad Pitt et l’ambiguïté d’un bienfaiteur qui cache son jeu. On veut y croire aussi lorsque László parvient enfin à faire venir sa femme aux États-Unis, sublime Felicity Jones, qui porte sur ses épaules le poids indicible des camps, sans jamais sombrer dans l’excès. Leur réunion, tardive et fragile, est à l’image du film : une lueur vacillante dans un monde d’ombres.
Corbet, fidèle à sa réputation de cinéaste esthète, compose chaque plan avec un soin maniaque, transformant même les scènes les plus anodines — une simple fête pour célébrer la signature d’un contrat — en tableaux habités par une tension sourde. Il préfère la narration visuelle à l’exposition explicite, laissant parler les images et les silences. Une séquence de train, où la fumée envahit l’écran, annonce ainsi une bascule vers des heures plus sombres, dans une poésie tragique qui imprègne tout le film.
Cette lenteur, parfois hypnotique, confine à la léthargie. Le film s’impose comme une masse compacte, insaisissable, qui exige du spectateur une patience et une disponibilité rares. Il finit par ressembler à cet immeuble brutaliste qui irrigue le récit : une architecture opaque, réfractaire à toute séduction immédiate, qui ne se révèle qu’au prix d’une observation longue et attentive.
Mais comme l’architecture moderniste qui divise et fascine, The Brutalist s’impose par sa forme singulière. Dès le générique de début, qui défile à l’horizontale, Corbet affirme sa volonté de bousculer les conventions. Ce geste, à la fois simple et radical, annonce la couleur : nous sommes face à une œuvre qui cherche à inscrire sa propre empreinte dans un paysage cinématographique saturé, y compris sur un thème aussi exploré que la Shoah. En refusant le didactisme, en jouant sur l’abstraction et la frontalité, il parvient à faire exister un film inédit sur la mémoire, l’exil et la création, qui refuse de se livrer autrement qu’à celui qui accepte de s’y perdre.
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Fuyant l'Europe d'après-guerre, l'architecte visionnaire László Tóth arrive en Amérique pour y reconstruire sa vie, sa carrière et le couple qu'il formait avec sa femme Erzsébet, que les ...
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