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Publié par andika

Les Liaisons Dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos est un roman qu'on ne présente plus. Référence ultime du roman épistolaire, de la narration, de la variation des styles entre les différents personnages qui prennent la plume, il s'agit ici d'un livre dont on ne se lasse pas depuis 1779. On ne s'en lasse tellement pas que le cinéma et le théâtre s'en emparent. Il en va ainsi de la démarche du metteur en scène Terry Misseraoui qui en offre une nouvelle adaptation scénique qui met les lettres en valeur et au centre de sa mise en scène.

Une démarche authentique et fidèle

La problématique de chaque adaptation d'une œuvre littéraire est de savoir ce que l'on veut garder, ce que l'on veut couper ou ce que l'on doit modifier. Ici, le parti pris est limpide, on garde les lettres et on y est fidèle. On les montre sur scène, on les fait lire aux comédiens, et on respecte scrupuleusement le texte. On sent ainsi immédiatement tout l'amour du matériau original, qui est respecté quasiment avec dévotion. La langue de Laclos est conservée et magnifiée, et percute encore plus lorsqu'elle est déclamée à voix haute. Alors bien évidemment, tout n'est pas conservé, il faut faire des coupes, tous les personnages du roman n'ont pas le droit de cité. Mais cela se fait toujours en bonne intelligence, et est au service du rythme si particulier du théâtre. Car en effet, même s'il s'agit de lettres, la mise en scène nous fait demeurer dans le genre théâtral.

Une mise en scène créative

Le problème principal des liaisons dangereuses est que les deux protagonistes, Valmont et Merteuil, se rencontrent peu, raison pour laquelle leur correspondance est si abondante. Mais impossible sur scène de raconter une telle histoire sans faire interagir ces deux personnages essentiels. Terry Misseraoui trouve ici de nombreuses idées pour faire cohabiter ces deux personnages sur scène. Ils se lisent leur lettre mais se voient également, ils se touchent. On sait qu'ils ne se rencontrent pas réellement, mais les comédiens, par leur jeu, illustrent les mots de façon efficace. On remarque aussi que au début de la pièce, Danceny (excellent Thibault Serviere, plein de timidité et  d'innocence corrompue) et Cécile portent des vêtements de la même couleur, à savoir le jaune, avant que cela ne diverge.

On apprécie également l'habileté de la mise en scène d'un événement assez dramatique du roman, à savoir le viol de Cécile Volanges par Valmont relaté dans la Lettre XCVI. Un éclairage tamisé, une comédienne jouant l'effroi (excellente Manon Dupin), et au contraire un Valmont prédateur (excellent Christophe Laparra, plein d'assurance et de malice, subjuguant d'autorité pour reprendre les termes du roman). Il n'est ainsi pas utile de montrer grossièrement les choses pour les faire comprendre. 

Une histoire toujours contemporaine

Terry Misseraoui a décidé de transposer l'histoire dans les années 1960, époque assez proche de nous, et également base de la première adaptation cinématographique de Roger Vadim. Tous les décors et les costumes rappellent cette époque. On en était aux prémices de l'émancipation des femmes, avec la légalisation de la pilule qui allait intervenir en 1967. Et le personnage le plus représentatif de cette émancipation est celui de la marquise Isabelle de Merteuil, campé ici par une irradiante Isabelle Toris, dont la blondeur rappelle Glenn Close ou encore Jeanne Moreau. Personnage libre par excellence, qui utilise les armes des hommes pour mener sa vie sexuelle, elle se montre tour à tour séductrice, brillante, autoritaire, sournoise, bafouée, forte, fragile. Et encore aujourd'hui, ce personnage demeure un symbole d'émancipation. Et le contraste avec le personnage de Tourvel est saisissant. Femme pieuse, fidèle à son mari, elle est détournée par Valmont et est entrainée sur un chemin sulfureux, qu'elle ne voulait pas emprunter. 

Cette adaptation parvient à aborder tous ces thèmes, sans jamais noircir le trait, sans jamais en rajouter, ni faire d'anachronisme, car en réalité, tout était déjà dans le roman, il suffisait de le révéler. Comme cet extrait ô combien éloquent issu de la Lettre CXXVII de Merteuil à Valmont:

Mais, autrefois, vous faisiez un peu plus de cas de moi ; vous ne m’aviez pas destinée tout à fait aux troisièmes rôles ; et surtout vous vouliez bien attendre que j’eusse dit oui, avant d’être sûr de mon consentement.

Les Liaisons dangereuses, Pierre Choderlos de Laclos

Ainsi, la notion de consentement était déjà le nœud de l'intrigue d'un très ancien roman, et c'est ce que Terry Misseraoui nous rappelle, avec beaucoup d'habileté, dans sa fabuleuse adaptation des liaisons dangereuses.

Les liaisons dangereuses au théâtre de l'ile saint louis, représentation du 20 décembre 2024
Auteur(s) : Pierre Choderlos de Laclos
Artiste(s) : Isabelle Toris, Manon Dupin, Christophe Laparra, Thibault Servière et Marie-Céline
Metteur en scène : Terry Misseraoui

 

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