Les débuts tonitruants de Bruno Philippe avec le National à Radio France dans le Concerto de Dvořák

Bruno Philippe est un jeune violoncelliste français, nommé révélation instrumentale aux victoires de la musique classique en 2018. Et comme on dit, aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années. Et le destin parfois favorise ces jeunes talents qui se voient offrir de belles opportunités. A l'affiche du concert de l'Orchestre national de France du 9 novembre 2023 à l'auditorium de Radio France, était prévu le violoncelliste norvégien qu'on ne présente plus, Truls Mørk, dans le Concerto pour violoncelle de Dvořák. Mais ce dernier finalement indisponible, a été remplacé au pied levé par Bruno Philippe, avec un programme inchangé. En deuxième partie, était prévu le Concerto pour orchestre du compositeur polonais Witold Lutosławski. L'Orchestre national de France étant dirigé pour l'occasion, par le chef britannique Nicholas Collon.

Bruno Philippe arrive sur la scène de l'auditorium de Radio France, à la suite du chef, Nicholas Collon, salue Sarah Nemtanu, le premier violon du National, puis brièvement le public avant de s'installer sur son siège. Le temps de s'accorder et c'est parti, la musique commence. Le Concerto pour violoncelle en si mineur de Dvořák. Un des meilleurs qui existe au répertoire, composé pendant la période américaine du compositeur entre 1894 et 1895. Pourtant, cette musique ne regarde pas vers le nouveau monde, mais vers la terre tchèque des origines de son auteur. Et d'emblée, le célèbre premier thème est énoncé par la formidable clarinette de Patrick Messina, avant d'être repris par tout l'orchestre dans un tutti magistral, et de prendre enfin toute sa dimension. Le chef instaure une grande tension, tout en maintenant une grande clarté et une certaine onctuosité, dans ces pages monumentales. Le son dense impressionne, les cordes sont d'une opacité divine tandis que la couleur des vents atténue un peu ce bloc de musique gigantesque. Et devant ce gigantisme, ce monument de la musique, on observe le jeune Bruno Philippe. Le soliste devant attendre de nombreuses mesures avant d'intervenir. Mais on le sent concerné, concentré. Plein de déférence envers ses compagnons et collègues de la soirée du National, qu'il écoute avec grande attention. Quand les premiers violons jouent, il incline sa tête en leur direction. Il est seul, au milieu, grand, mince et d'apparence tellement jeune avec ses cheveux en bataille. Et pourtant, dès qu'il intervient dans cet Allegro, le son qu'il produit traduit l'évidence même. Il fait ses débuts avec le National certes, mais dès sa première phrase, il fait entendre à tout le monde qu'il est bien à sa place, et qu'il maitrise ce concerto jusqu'au bout des doigts. Il s'affirme avec un son ample et puissant qui empoigne le premier thème, dans un mode majeur glorieux. Le violoncelle de Bruno Philippe chante divinement dans les accords arpégés, avec des trilles divins. Mais ce que l'on apprécie, c'est que en contraste avec son apparence timide, ce dernier s'affirme vigoureusement face à l'orchestre, avec fougue, mais qu'il est capable également de la plus grande intimité et profondeur, et que chacune de ses émotions transparait dans son jeu. Et on l'entend d'autant plus dans l'Adagio où son violoncelle chante avec beaucoup de profondeur et de tendresse et dialogue avec les différents pupitres. Le troisième mouvement enfin, revient à une musique très rythmée où la dimension gigantesque de l'œuvre fait son retour. Dans un élan de vigueur et de virtuosité, jamais démenti, l'enthousiasme et l'engagement des musiciens transparait. L'écoute mutuelle ainsi que le plaisir de jouer ensemble, surtout avec le soliste. Ici, Bruno Philippe impressionne dans le registre aigu de son violoncelle et la maitrise de son archet, mais surtout, sa main gauche virevoltante, dans des traits de virtuosité inouïs, rendus à la perfection. Une interprétation habitée, tonitruante. Et pour citer Bruno Philippe lui-même, un moment cathartique ! En bis, Bruno Philippe opte pour El cant del ocells (Le chant des oiseaux) de Pablo Casals. De ce chant de noël catalan, l'artiste nous offre un moment de recueillement et de calme, plein d'émotion et de tendresse.

Le Concerto pour orchestre de Witold Lutosławski, a été composé en 1954, dans la Pologne communiste où le réalisme socialiste régnait en maître. S'inspirant de Bartok, le compositeur polonais allait pourtant prendre une direction bien différente dans son propre concerto pour orchestre. Notamment dans sa manière de citer Chostakovitch, ici avec déférence, alors que Bartok le fait dans la parodie. Nicholas Collon empoigne cette oeuvre avec un geste clair, tout en gardant de la mesure dans les nuances. Les cuivres sont présents et sonores. Enfin, dans cet Intrada, on sent une certaine âpreté qui n'est pas pour déplaire, avec notamment des rythmes marqués qui font entrer d'emblée dans le vif du sujet. Et ces rythmes marqués sont encore présents dans le deuxième mouvement noté Capriccio. Dans ce scherzo, le trio léger est superbe, avec des violons dans le registre aigu, et des nuances pianissimos de toute beauté. La Passacaille qui conclut l'oeuvre est épique, intense et rythmée avec un staccato marquant, et bien des passages théâtraux et tonitruants. Pour bien rester dans le thème de cette soirée aux deux concertos déconcertants !

Concert disponible à l'écoute pendant un mois sur le site de Radio France

Programme du concert du jeudi 9 novembre à Radio France
ANTONÍN DVOŘÁK Concerto pour violoncelle en si mineur, op 104 WITOLD LUTOSŁAWSKI Concerto pour orchestre BRUNO PHILIPPE violoncelle ORCHESTRE NATIONAL DE FRANCE NICHOLAS COLLON direction

Nicholas Collon dirige d’une main de maître le @nationaldefce dans un tonitruant Concerto pour orchestre de Witold Lutosławski ce soir à la @Maisondelaradio ! pic.twitter.com/HgMemUTt4y
— Andika (@Nyantho) November 9, 2023

Tonitruant ! C'est le mot pic.twitter.com/fUxQvm3gTz
— LeDeuxDePique (@GuillaumeD01) November 9, 2023

Monumental Concerto pour violoncelle de Dvorak ce soir à @radiofrance ! Bruno Philippe pour ses débuts avec le @nationaldefce se montre assuré et sensible avec un archet irrésistible ! J’ai toujours trouvé le 1er thème d’une 1er mouvementa gigantesque. pic.twitter.com/kT7a0irejn
— Andika (@Nyantho) November 9, 2023

Bruno Philippe faisait ce soir ses débuts au @nationaldefce dans le concerto pour violoncelle de Dvorak : c’était magnifique, et bouleversant.
Jusque dans le bis… 🙏

Si vous l’avez manqué, c’est en réécoute sur #FranceMusique https://t.co/ZFo0csx5gp pic.twitter.com/4TDcPSVyZN
— Stéphane Grant (@stephanegrant) November 9, 2023