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Publié par andika

Mikko Franck, de nationalité finlandaise, y connait quelque chose au sujet du Nord. De ces froids hivers aux journées courtes, et même aux périodes où le soleil ne se lève plus. Les nuits sont alors bien longues et froides et cela forge les personnalités, les identités et le répertoire. Et de ce Nord scandinave est né le programme du deuxième concert de la saison 23/24, de l'Orchestre Philharmonique de Radio France, le 22 septembre dernier, avec tout d'abord, Edvard Grieg, compositeur norvégien le plus renommé dont a été donné le très célèbre Concerto pour piano en la mineur. Et comme soliste au piano, la sublime Alice Sara Ott (en résidence cette saison à Radio France), vieille connaissance des musiciens du Philar'. Mais en prélude à ce concerto, un extrait de Peer Gynt avec la Chanson de Solveig. Après l'entracte, toujours le Nord avec Inlandsis, du nom des glaciers de Scandinavie. Il s'agit de la nouvelle oeuvre de la compositrice française Camille Pépin, en création mondiale pour l'occasion. Et pour terminer ce programme, comme évoqué précédemment dans le thème du Nord avec ses longues nuits, rien de moins que les Nocturnes de Claude Debussy.

Alice Sara Ott sur le poster du Concert de Radio France

En janvier 1874, le dramaturge Henrik Ibsen propose à Grieg de composer la musique de scène de sa pièce de théâtre Peer Gynt. Le compositeur, confronté à des difficultés financières, accepte la commande, qui finira, bien malgré lui, par assurer la majorité de sa notoriété internationale et même sa postérité. Deux suites orchestrales déboucheront de ce travail. La chanson de Solveig est issue de la seconde. Mais point de voix humaine pour cette chanson, mais des cordes au vibrato généreux. Le phrasé très legato de l'Orchestre Philharmonique de Radio France dans de longues phrases évoquants le froid du nord, les harpes soyeuses, le son très onctueux obtenu par Mikko Franck, rendent honneur à ce si joli thème. L'émotion se fait forte même si le morceau est bref, la deuxième partie est plus rythmique mais demeure toutefois tranquille. La tonalité de la mineur de cette chanson fonctionne à merveille dans ce programme, car, Alice Sara Ott, déjà présente sur scène, devant son instrument, peut enchainer directement le Concerto pour piano de Gieg, dans la même tonalité, sans interruption. Quelle belle transition avec ce roulement de timbales dont on ne sait pas bien s'il appartient au premier ou au deuxième morceau du programme ! Ce concerto a beau être l'un des plus célèbres du répertoire, on n'y entre pas comme cela tous les jours. Dans cette entrée en matière singulière, le piano d'Alice Sara Ott se distingue immédiatement grâce aux fameux accords de piano qui ouvrent la pièce. Son jeu est simple, agile dans les aigus, sans abuser de la pédale. Elle dose ses effets et ses nuances. Mais sa sobriété n'atténue pas son expressivité, bien au contraire. Le dialogue avec l'orchestre est fécond et une belle énergie circule. Mikko Franck obtient un son homogène avec des attaques franches et jubilatoires, avec un vrai sens du rythme. La cadence de la soliste est du même ton avec beaucoup de puissance. Après une salve d'applaudissements de la part du public, l'atmosphère se calme avec l'Adagio. Les cordes du Philhar', malgré la sourdine, chantent, sont mordantes et denses. Le piano entre et développe sa propre mélodie, accompagné discrètement par les cordes dans un équilibre divin obtenu par Mikko Franck. Le phrasé délicat d'Alice Sara Ott amène une ambiance nocturne pleine de poésie. Le troisième mouvement renoue avec l'énergie du premier. Dans cet Allegro moderato et marcato, le rythme du halling (danse norvégienne) est roi. Le chef empoigne cette partition avec énergie. Et cette énergie est partagée par la soliste, qui va chercher les touches du clavier en profondeur, dans un tempo très allant. Les attaques sont franches dans cette musique qui affirme l'identité nordique de son auteur, à chaque intonation. Au milieu de cette frénésie, un petit épisode cantabile avec la fraîcheur de la flûte de Mathilde Calderini. Mais l'empoignade reprend vite. Les alternances piano/tutti sont jouissives et poussées au paroxysme, donnant l'impression de partir au galop, pour un final irradiant. En bis, Alice Sara Ott propose la Gnosienne n°3 de Satie, toujours en la mineur. Mais cette fois-ci, l'ambiance est plus calme. Voici résidence qui commence bien ! Sous une véritable ovation.

Alice Sara Ott lors des répétitions (© Christophe Abramowitz / Radio France)

Alice Sara Ott lors des répétitions (© Christophe Abramowitz / Radio France)

En règle générale, lorsqu'on se rend au concert de musique classique, on opère un voyage vers le passé. Les répertoires des 18ème et 19ème siècles étant encore très largement programmés. La musique du 20ème siècle semble déjà bien moderne alors, lorsqu'on découvre une oeuvre de son temps, les impressions sont bien différentes. Car comme au théâtre, les artistes sont en prise avec leur époque. Et la compositrice Camille Pépin ne déroge pas à la règle. Pour sa nouvelle oeuvre, intitulée Inlandsis, elle s'inspire du climat d'anxiété qui règne dans le monde face à la question du changement climatique. Thème dont on entend parler dorénavant quotidiennement dans les médias. Inlandsis, mot d'origine scandinave, désigne les glaces des terres intérieures. Ce sont d'immenses glaciers de grande épaisseur qui se prolongent sur la mer. Mais avec la fonte des glaces, ces glaciers se détachent de la terre... Et pour dépeindre ces glaciers, Camille Pépin convoque un très grand effectif à l'orchestre, avec un pupitre de percussions bien garni, et pour la première fois, un piano. D'emblée, on entre dans un climat d'inquiétude, avec quatre notes scandées et des percussions intenses. Le ton est tragique. Puis c'est l'attente. Tenue de cordes graves, des vents qui chantent avec fébrilité et le piano qui colore l'ensemble, en sorte d'élément perturbateur. Dans cette musique picturale, tous les sens sont sollicités. On admire la richesse de l'orchestration, mise en valeur par le chef qui ne néglige aucun détail, aucun timbre. S'en suit une partie plus rythmique, totalement dans le style de Camille Pépin. Prise énergiquement par l'orchestre, cette partie illustre la vie, et le gigantisme de ces glaciers. L'usage de l'ostinato aux cordes donne un cachet épique et haletant. Le tutti est brillant, notamment avec un pupitre de percussions en forme, et d'humeur héroïque. Le caractère épique de la musique de Camille Pépin fait que l'attention de l'auditeur ne baisse jamais d'un cran. De plus, la structure de l'oeuvre offre de nombreux repères, même lors de la première écoute. Ainsi, le retour du motif de quatre notes du début récapitule avec efficacité le sentiment âpre initial pour terminer dans une fin pour le moins ambiguë sur ce qu'on ressent. Le public ne s'y trompe pas, mettant quelque temps avant d'applaudir. Inlandsis est une partition assez exaltante. Vraie expérience de concert qui fait réagir immédiatement l'auditeur, et l'implique dans la musique. Le plaisir de l'écoute est facilement accessible. Qu'on aime le rythme ou la mélodie. Mais surtout, quand on aime l'orchestre tout simplement.

Mikko Franck
Mikko Franck lors des répétitions (© Christophe Abramowitz / Radio France)

Enfin, pour conclure ce programme, les Nocturnes de Debussy où, pour l'occasion et contrairement à l'usage habituel, le troisième consacré aux Sirènes sera bien interprété, avec le concours du Choeur de Radio France préparé par Lionel Sow. Le premier Nocturne, Nuages est, pour reprendre les mots du compositeur :"l’aspect immuable du ciel avec la marche lente et mélancolique des nuages finissant dans une agonie grise, doucement teinté de blanc." Forme libre de rondo, avec un motif tranquille faisant la part belle aux cordes (où on trouve jusqu'à douze parties de violons). L'alliage des timbres est une merveille d'orchestration, et le chef fait sonner son orchestre de façon très picturale. Le thème principal en si mineur, entonné par le cor anglais assombrit l'atmosphère. Le basson, le hautbois, chacun de ces instrument apporte des couleurs froides. Le deuxième nocturne, Fêtes, alerte par la tension, le tempo allant, les tuttis joyeux, des cuivres rutilants et des cordes incandescentes, dans un mouvement perpétuel haletant. Enfin, les Sirènes, chères à la mythologie nordique, région de la soirée. Huit altos et huit sopranos tentatrices prêtent leurs voix à ce passage envoutant. Deux notes suffisent à séduire l'auditeur. La polytytmhie de ce passage est un délice, savouré avec gourmandise par Mikko Franck. Les flux et reflux sont un exercice particulier, où les vocalises des sirènes circulent dans l'orchestre, amenant une atmosphère mystérieuse, voire magique. On apprécie enfin, une fois de plus, les belles couleurs de la petite harmonie de l'Orchestre Philharmonique de Radio France.

Un concert riche au programme  séduisant, servant le thème du Nord avec passion et pertinence.

Concert disponible à l'écoute pendant un mois sur Radio France

Programme du concert du 22/09/2023 à Radio France
EDVARD GRIEG
Peer Gynt : Chanson de Solveig
Concerto pour piano


CAMILLE PÉPIN
Inlandsis (commande de Radio France – création mondiale)*

CLAUDE DEBUSSY
Nocturnes

ALICE SARA OTT piano
CHŒUR DE RADIO FRANCE
LIONEL SOW chef de chœur
ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE RADIO FRANCE
MIKKO FRANCK direction

 

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