Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Pages

Publié par andika

Six années après avoir annoncé sa retraite, et avoir annulé une date à Paris pour cette raison, la vénérable pianiste portugaise Maria João Pires continue pourtant de se produire et ainsi, de donner l'occasion au mélomane en herbe d'avoir encore la chance de l'entendre en vrai, ce jeudi 15 juin 2023 à l'auditorium de Radio France. Et de l'entendre dans une oeuvre d'un compositeur qui l'accompagne depuis sa plus tendre enfance, à savoir Mozart et son sublime Concerto pour piano n°9, Jeunehomme. Pour accompagner cette oeuvre concertante dans ce programme de l'Orchestre National de France, dirigé par Trevor Pinnock, la plus mozartienne des symphonies de Schubert, à savoir la cinquième et enfin, la Symphonie n°103 "Roulement de timbale" de Joseph Haydn.

Poster officiel du concert

La Symphonie n°5 de Schubert a été achevée en 1816 et créée en public, de façon posthume en 1841. Dans cette dernière symphonie de jeunesse de Schubert, l'effectif choisi par le compositeur est modeste (sans trompette, ni clarinette, ni timbales) et tend ainsi à se rapprocher  du style de Mozart, simplicité et rigueur de la forme, verve mélodique. Schubert écrivant ainsi dans son journal intime en juin 1816: « Ô Mozart, éternel Mozart, que d’impressions bienfaisantes de cette sorte, d’une vie meilleure, plus radieuse, n’as-tu pas gravées en notre âme ! » Trevor Pinnock dirige l'Orchestre National de France, sans baguette mais avec le sourire pour ce premier mouvement noté Allegro.  Le ton est léger et enjoué, notamment aux cordes qui sont d'une belle transparence. Le phrasé de l'orchestre est propre, net, l'équilibre des plans sonores est remarquable dans les divers jeu de contrepoints concoctés par Schubert. Dans le développement, le dialogue entre les cordes graves et le basson captive. L'énergie juvénile du chef se canalise dans l'Andante. Les cordes deviennent plus denses, l'orchestre a plus de poids, le vibrato s'invite dans le premier thème. La deuxième partie du thème s'allège du côté des cordes, et le dialogue avec la petite harmonie fabuleuse du National, devient d'une infinie tendresse. Et tout cela contraste avec le Menuet, au thème bien sombre. On dit souvent ici que Schubert s'est inspiré de la Symphonie n°40 K 550 de Mozart de 1788. Il est vrai que la tonalité de sol mineur y fait penser. Les attaques se font plus franches. La vigueur du chef se fait sentir, les nuances forte ne sont pas galvaudées. La tension est constamment maintenue aux seconds violons qui donnent subtilement la pulsation avant un dernier mouvement de nouveau léger et enjoué. Dans ce Finale, noté allegro, la lumière revient et la petite harmonie brille de mille feux au dessus des cordes, rappelant le chant des oiseaux au printemps, avant que le superbe contrepoint entre ces deux pupitres, ne soit formidablement mis en valeur par le chef. Une formidable entrée en matière, pleine d'enthousiasme et de joie.

Le Concerto pour piano n°9 Jeunehomme a été composé pour une mystérieuse Mademoiselle Jeunehomme, pianiste virtuose française en déplacement à Salzbourg en 1777. Nommée constamment "Jenomé" dans la correspondance de Mozart, il s'agirait finalement de Victoire Jeanamy, fille du célèbre chorégraphe Jean-Georges Naverre. Néanmoins, c'est bel et bien Mozart qui a créé ce concerto qui porte bien son nom, dans la mesure où ce dernier fêtait tout juste ses 20 ans. Dans la tonalité héroïque de mi bémol majeur, ce concerto est d'une insolente jeunesse, le piano entamant un dialogue ininterrompu avec l'orchestre. Et Trevor Pinnock traduit cette vitalité de la jeunesse dès le premier accord de l'Orchestre National de France à l'unisson, où les cordes sont très légères. La réponse de Maria João Pires au piano est vigoureuse, espiègle, énergique, rayonnante. Sa main droite chante avec assurance et brille de façon infaillible des des trilles de toute beauté.  Le dialogue entre la soliste et l'orchestre est dynamique et déploie une énergie communicative dans ces pages loin du style galant. Au contraire, l'émulation maintient constamment la tension. La deuxième mouvement, Andantino en do mineur, rappelle parfois la Symphonie concertante. Le ton devient solennel. Le vibrato des cordes amène des couleurs opaques, un certaine gravité s'instaure, et l'orchestre se fait tout doux pour laisser la soliste chanter au piano. Mais la joie ne tarde pas à revenir avec le Rondo. Maria João Pires empoigne le refrain avec énergie, amplitude et majesté. La réponse de l'orchestre se fait vigoureuse, et espiègle. On apprécie les aigus du piano, plein d'humour et plein de sève. Le deuxième couplet est d'une folle intensité, avant le changement de tempo de la partie menuet qui amène une surprise agréable, où le talent de la soliste s'exprime pleinement, accompagné des cordes en pizzicato. Le retour du refrain amène encore une dose d'énergie supplémentaire, dans ce finale à la verve non démentie. Après une longue ovation, en bis, l'Adagio du Concerto pour clavecin n°5 de Bach, afin de calmer un peu l'atmosphère avant l'entracte.

© Nicolas Mathieu

© Nicolas Mathieu

Avec la Symphonie n°103 de Haydn, on reste en mi bémol majeur. Symphonie de la période londonienne dans les années 1790, elle est célèbre grâce à ses célèbres roulements de timbale en introduction. Quelle étrange entrée en matière pour ce premier mouvement. La musique commence sans qu'on ne s'en rende bien compte. Mais subitement, un thème connu intervient, celui du Dies Irae. Dans cette partie Adagio, l'orchestre est sérieux et grave puis la partie Allegro con spirito amène un peu de légèreté. Les cordes s'aèrent. Les attaques sont bondissantes, et la direction de Trevoir Pinnonck se fait plus enthousiaste, lui qui est si adepte des interprétations historiquement informées. Le deuxième mouvement est d'une grande élégance, dans des variations alternées de deux thèmes populaires. Le phrasé de l'orchestre est ciselé, et d'une grande musicalité, malgré l'écriture en saccade. Le contrechant des cordes basses est omniprésent et agréable à entendre, les archets sont légers et conviviaux, et le solo de violon de Sarah Nemtanu est fabuleux. Le menuet a également des aspects populaires, la pulsation est ample, et on sent une accentuation du premier temps de la mesure qui renforce l'assise. Le trio donne une grande place aux clarinettes. Enfin, le dernier mouvement, construit sur un thème unique est un tour de force. L'attention ne se relâche jamais, les tuttis concoctés par Trevor Pinnonck sont impressionnants de clarté, de précision et de puissance. Le chef demeure attentif et précis, donnant tous les départs. Mais plus que l'interprétation, ce qui impressionne arrivé à la fin de cette symphonie, ce sont les sourires qui illuminent les visages des musiciens. Cette joie de jouer ensemble, et ce plaisir ressenti et si bien transmis. Ces sourires à eux seuls, justifient l'expérience du concert. Et ils ont semblé être contagieux au public. Ces derniers expliquent sans doute la très longue ovation à l'issue de cette superbe interprétation. Trevor Pinnock a dirigé un Orchestre National de France des grands soirs, dans un programme joyeux et juvénile. Ce qui décrit bien l'impression que donne cet immense chef d'orchestre.

Programme du concert du 15 juin 2023 à l'auditorium de Radio France
FRANZ SCHUBERT
Symphonie n° 5

WOLFGANG AMADEUS MOZART
Concerto pour piano et orchestre n° 9 "Jeunehomme"

JOSEPH HAYDN
Symphonie n° 103 "Roulement de timbale"

MARIA-JOÃO PIRES piano
ORCHESTRE NATIONAL DE FRANCE
TREVOR PINNOCK 
direction 
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article