Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Pages

Publié par andika

Chanter la mort. C’est un thème qui revient souvent en musique. La mort d’un personnage dans un opéra. La mort de Jésus dans les passions. La mort, est parfois envisagée comme un simple passage vers la résurrection, comme dans la Symphonie n°2 de Mahler. Toutefois, chez Chostakovitch, la mort est la fin de tout et non pas le début d'un nouveau chemin. Et c'est le thème de sa Symphonie n°14, où le compositeur a convoqué les poèmes de différents auteurs, à savoir Küchelbecker, Apollinaire, Lorca et Rilke. Et pour ces textes, les voix de soprano et de basse se joignent à un orchestre réduit à dix neufs cordes, accompagnées de percussions. Et qui de mieux que l'Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par Mikko Franck, accompagnés de la soprano lituanienne Asmik Grigorian et du baryton allemand Matthias Goerne. Mais avant de se plonger dans la mort, le programme de ce concert proposait un quintette pour quatuor à cordes, et clarinette de Mozart.

Asmik Grigorian

Malgré les différentes crises et confinements des derniers temps, le concert du 13 juin a gardé un programme intact par rapport à celui de la brochure de la saison 2020/2021. Et même s'il s'agit d'un concert du dimanche après-midi, la formule bien connue du Philhar' a été respectée à la lettre. A savoir allier une première partie de musique de chambre avec une seconde partie symphonique. C'est alors avec plaisir que nous avons découvert le Quintette avec clarinette de Mozart avec les fidèles musiciens de l'Orchestre Philharmonique de Radio France, Jérôme Voisin à la clarinette, Renaud Guieu au violoncelle, Marc Desmons à l'alto et enfin Aurore Doise et Arno Madoni au violon. Mozart était un amoureux fou de la clarinette et il a laissé de très belles pages pour cet instrument, notamment le fameux Concerto K 622. Dans ce quintette en quatre mouvements, la clarinette a le premier rôle sans pour autant se comporter comme un soliste, mais au contraire, elle dialogue constamment avec les autres instruments. Jérôme Voisin, avec sa clarinette de basset joue avec un très beau cantabile,  un legato jamais pris en défaut grâce à un sacré souffle et une clarté pleine de couleurs, notamment dans le Larghetto où il échange de façon riche avec les violons. Les deux derniers mouvements notés Menuetto et Allegretto sont des passages assez festifs, interprétés de manière quelque peu feutrée par moment. Cependant, quel plaisir dans le trio du menuet. Une œuvre de musique de chambre assez conséquente et plaisante qui démontre à quel point le répertoire est riche et qu'il ne faut jamais cesser de l'explorer. Même pour des musiciens d'orchestre !

Le ton n'est en revanche plus à la légèreté lorsqu'on aborde l'avant dernière symphonie de Chostakovitch. Il la compose en 1969, une période où sa santé se détériore. Il perd notamment l'usage de sa main droite, ne pouvant dès lors plus se produire en public. Tout cela est documenté dans la correspondance de Chostakovitch avec son ami Glikman. Contrairement à la Symphonie n°13, Babi Yar qui convoquait l'orchestre au complet, ici, l'effectif est très réduit. Tant et si bien que le compositeur a longtemps hésité avant de nommer cette œuvre symphonie. D'ailleurs, l'ultérieure Suite sur les Poèmes de Michel-Ange ne portera pas le nom de symphonie, bien que le principe de sa composition soit assez similaire aux 13ème et 14ème symphonies. La Symphonie n°14 se décompose en onze mouvements qui alternent différentes ambiances, de la méditation au sarcasme, de la peur aux lamentations, selon les différents textes. Parfois, ces derniers sont chantés par la soprano seule, ou en duo avec la basse, ou la basse toute seule. Enfin, cette symphonie s'éloigne souvent du langage de la tonalité pour aller vers le dodécaphonisme. Et c'est ainsi que commence la symphonie avec le premier mouvement, De Profondis sur un texte de Garcia Lorca (chanté en russe). Cinq violons qui jouent une longue mélodie sur les premières notes du Dies Irae, avant que le dodécaphonisme n'arrive. Matthias Goerne chante le texte avec sobriété et trouve les graves sans aucune difficulté, avec une ligne mélodique bien assurée. Le contraste est saisissant avec Malaguena qui suit juste après. Une danse de mort, nerveuse, saccadée, disloquée. Registre aigu aux violons, dans un pupitre mené remarquablement par Ji-Yoon Park. Mais ici, Asmik Grigorian s'empare déjà de la scène et capte toute l'attention pour ne plus jamais cesser de nous captiver. Russe parfait, projection remarquable, présence scénique fascinante et musicalité fracassante: "La mort entre et sort dans la taverne." C'est  La Lorelei qui suit, sur un texte de Guillaume Apollinaire. Il s'agit de la partie la plus développée de l'œuvre. La fameuse « sorcière blonde qui laissait mourir d’amour tous les hommes à la ronde. » Mikko Franck ici gère à la perfection les fréquents changement de mesure par une direction alerte et dynamique, le moment où la Lorelei se jette dans le Rhin avec un glissando montant des cordes se ponctuant par un coup de cloche est un moment particulièrement réussi. Le chef abandonne ici sa rondeur habituelle pour une direction âpre, aux attaques ciselées, avec beaucoup de gravité. Soulignons également le remarquable solo de violoncelle de Nadine Pierre, qui mène au mouvement suivant. Dans Le Suicidé, Asmik Grigorian nous fascine avec ses aigus et l'émotion qu'elle communique sur ce texte déchirant, dans cette complainte magnifique. Mais elle impressionne tout autant dans le texte licencieux de Les Attentives en cinquième partie tandis que Sur le qui-vive en VI se distingue par son rythme (ponctuations du xylophone) bien qu'il s'agisse d'un Adagio. A la prison de la santé, est un mouvement de cordes où le col lengo alterne avec les pizzicatos, dans une page angoissante, marquée par le dodécaphonisme. L'Orchestre Philharmonique de Radio France y brille et ferait aimer l'atonalité à son plus fidèle détracteur. Dans le VIII, Réponse des Cosaques zaporogues au sultan de Constantinople, Matthias Goerne se couvre de gloire avec une puissance impressionnante, dans ce mouvement empli de grossièretés. La grotesque côtoie le tragique dans une musique agressive, avec des trilles saillants aux violons. Qu'il est plaisant d'avoir un orchestre aussi réduit où l'on peut tout entendre. Où chaque pupitre existe pleinement. Les choses se calment dans O Delvig, Delvig sur un texte de Wilhelm Küchelbecher. Dans cet adagio, nous avons droit à une douce déclamation où Goerne chante une ligne mélodique assez sobre. Dans La Mort du Poète en X, le thème du Dies Irae revient aux violons, dans le registre extrême aigu. Ce pupitre, même à effectif réduit, ne cesse de se distinguer dans cette interprétation, on devine le thème du mouvement aux altos, tandis que la soprano continue à distiller ses aigus divins. Enfin, la Conclusion, notée modérato est très courte. Les cordes sont de nouveau en col lengo dans un ostinato obsessionnel, les deux solistes chantent à l'aplomb, des notes encore composées selon les principes du dodécaphonisme. Une fin brutale, sans cadence, sans prévenir. Nous laissant simplement méditer sur ces dernières paroles: 

"La mort est grande.
Nous sommes à elle,
La bouche riante.
Lorsque nous nous croyons au sein de la vie,
elle ose pleurer
dans notre sein
."

La Symphonie n°14 de Chostakovitch est une œuvre riche, fascinante. Elle va puiser au plus profond de nous et fait réfléchir sur le sens de la vie. Une rareté au concert dont on aurait tort de se priver. Surtout avec d'aussi bons interprètes.

Programme du concert du 13 juin 2021 à l'auditorium de la maison de la radio
WOLFGANG AMADEUS MOZART
Quintette pour clarinette et quatuor à cordes en la majeur K 581

DIMITRI CHOSTAKOVITCH
Symphonie n°14 en sol mineur op. 135

ASMIK GRIGORIAN soprano
MATTHIAS GOERNE baryton
JÉRÔME VOISIN clarinette
RENAUD GUIEU violoncelle
MARC DESMONS alto
AURORE DOISE violon
ARNO MADONI violon
ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE RADIO FRANCE
MIKKO FRANCK
 direction

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article