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Publié par andika

En cette rentrée 2020 définitivement pas comme les autres, il est plaisant d'enfin retourner au théâtre. Ce lieu de vie, de création, d'audace et de plaisir. Ainsi, à l’orée de cette nouvelle saison, nous nous sommes transportés au théâtre de la croisée des chemins, dans le quartier de Belleville, afin de découvrir la pièce de la jeune dramaturge Laëtitia Leroy intitulée Monstre moi. Cette pièce est inspirée des lectures de l'auteure en matière de criminologie. Il s'agit d'un thriller psychologique qui va interroger la figure du monstre présente en chacun de nous. L'argument de la pièce est le suivant" En attendant son procès, la tueuse en série Alina Warnant est suivie par la psychiatre France Quint pour déterminer son degré de responsabilité. Entre séduction et manipulation, jusqu’où ce face à face va-t-il les mener ?"

France (Clara Hertz) et Emilie (Laëtitia Leroy) © François Leonesi

France (Clara Hertz) et Emilie (Laëtitia Leroy) © François Leonesi

La vitalité de l'écriture et de la mise en scène

Le théâtre contemporain a cela d'exaltant qu'il parle souvent de notre époque justement. Il n'y a rien de tel que d'aller trainer dans les petits théâtres pour savoir ce qui se passe dans notre société. Pour y voir les histoires qu'on ne nous raconte pas forcément dans les médias de grande écoute. C'est également dans le théâtre qu'on va trouver des idées originales qui permettront de renouveler les histoires à notre disposition. Ainsi, dans Monstre moi, les trois personnages principaux sont des femmes et elles sont lesbiennes. Et cela n'est pas habituel de trouver contée l'histoire de trois femmes, de surcroit lesbiennes, dans une fiction.

Ce sujet original offre une vitalité bienvenue et une véritable fraicheur. Et pour poursuivre dans ce thème, voilà qu'on nous présente le personnage d'une femme criminelle ! Loin du stéréotype de la femme fragile, amoureuse, faire valoir, à secourir. Bien au contraire, le personnage d'Alina Warnant est glaçant. D'une part, grâce au jeu de Nathalie Peltier, qui offre une expression faciale laissant transparaitre peu de sourires et beaucoup de froideur. Et surtout, une posture au niveau du corps faisant aisément croire qu'elle a pu commettre quelques actes répréhensibles. Et cette crédibilité est aussi renforcée par des répliques tout aussi glaçantes.

France :
À votre avis, si on vous relâche que se passera-t-il ?
Alina :
Je crois que…je crois que si on me relâche je recommencerais.
C’est comme un besoin parce que quand je le fais je me
sens…
France :
Puissante ?

Laëtitia Leroy, Monstre moi

Enfin, la mise en scène de Laëtitia Leroy est dynamique, efficace et astucieuse. L'action alternant entre les entretiens de la psychiatre France Quint avec Alina, et les disputes entre France et sa compagne Émilie Levasseur. Les changements de plateau, effectués en un clin d’œil lumière éteinte et voix off faisant avancer l'intrigue sont très prenants. Ainsi, dans le même espace, on perçoit des endroits biens distincts. La salle de consultation de la prison, l'appartement des deux concubines, personnalisé notamment grâce à la présence d'une photo et d'un fauteuil. L'enchainement des scènes quant à lui faisant penser à un véritable montage de cinéma, avec des plans soigneusement sélectionnés et précis.

France (Clara Hertz) © François Leonesi

France (Clara Hertz) © François Leonesi

La psychologie des personnages

Les personnages sont le grand point fort de cette pièce. Leurs relations, leurs interactions, leur dialogues et par dessus tout, leur psychologie. Chacune a ses réflexions personnelles qui sont transmises au spectateur, par le dialogue mais aussi par la voix off qui permet d'accéder à leurs pensées.

Ainsi, le personnage de France sombre peu à peu dans la passion envers sa patiente, et ce cheminement s'opère de façon limpide par l'usage de la voix off. Clara Hertz livre ici une performance intéressante, où son trouble est sans cesse perceptible. On la voit peu à peu vaciller face à Alina, avant de perdre pied.

Mais cela est en opposition de sa relation avec sa compagne Émilie. Étrangement, France est une psychiatre mais elle a des problèmes de communication dans son couple. Et chaque dialogue finit invariablement par un désaccord plus ou moins grave. Notons ici la performance remarquable de Laëtitia Leroy en amoureuse éperdue qui ne sait plus quoi faire pour sauver son couple.

Le personnage d'Alina enfin est celui qui exprime le plus clairement ses intentions. Qui a paradoxalement le moins de problème de communication en étant d'une honnêteté brutale. Elle n'a pas peur de mettre les pieds dans le plat et de dire des choses plus ou moins inappropriées. Elle ne cache rien de ses envies, de ses fantasmes, de ses crimes. Ici, on relève d'ailleurs que le mode opératoire est celui du poison, placé opportunément dans du thé. Méthode connue pour être particulièrement appréciée des femmes en criminologie. De sa confrontation avec France, on verra naître une relation intrigante, touchante, pleine de tension sexuelle, qui nous permettra de constater que ces deux personnages se ressemblent plus qu'on ne peut l'imaginer, de quoi nous questionner sur la notion de monstre.

Qu'est-ce que le monstre ?

Nous connaissons tous la fameuse citation de Terence selon laquelle: "Rien de ce qui est humain ne m'est étranger."

Alors, qu'est-ce qu'un monstre dans ce contexte où par définition chaque comportement humain est... Humain ? C'est la question que pose habilement cette pièce. Alina semble entrer dans la définition du monstre mais son enfance difficile en fait également une victime. En observant le couple que forme Émilie et France, bien que non criminelles, on constate qu'il peut se passer des choses qui sont répréhensibles dans ce genre de relation. Comme par exemple le manque d'écoute et de communication. Et qu'il est parfois plus facile pour certaines d'avoir de l'empathie pour une criminelle, que pour une honnête femme. Mais est-ce que cela fait de France un monstre pour autant ? Est-ce que le fait d'avoir commis des crimes fait sortir de l'humanité ?

France (Clara Hertz) © François Leonesi

France (Clara Hertz) © François Leonesi

En conclusion, Monstre moi est une pièce originale, riche et intéressante. Baignée de références dans le domaine du thriller, (notamment Stephen King), elle s'en démarque pour créer quelque chose de totalement neuf. En présentant des personnages féminins variés et profonds. Et en les développant de façon juste et touchante. De sorte que, on se rend compte qu'il y a de la place pour toutes les histoires que l'on se donnera la peine d'écrire, pour peu qu'on ait un peu d'imagination (et de talent). Laëtitia Leroy signe ici une pièce prometteuse qui fait honneur au noble art du théâtre.

MONSTRE-MOI


Écrit et mis en scène par Laëtitia Leroy
Assistée de Virginie Hazard
Avec Nathalie Peltier, Clara Hertz et Laëtitia Leroy
Du 5 septembre au 24 octobre (relâche le 27/09)
Les samedis à 19h et les dimanches à 17h
Le samedi 31 octobre à 15h
Le dimanche 1er novembre à 20h30
Au Théâtre La Croisée des Chemins – Salle Belleville

 

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