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Publié par andika

Dans certains cas, peu importe le programme proposé, un nom sur l'affiche suffit à faire le déplacement. Asmik Grigorian est une de ces artistes dont la présence justifie à elle seule d'assister au concert. La soprano lituanienne, bien connue de l'autre côté du Rhin, jouit d'une notoriété un peu moins grande en France. Cependant, elle commence à apparaitre de plus en plus souvent à Paris, avant qui sait des débuts à l'opéra de la capitale. Nous avons conservé intact le souvenir de son passage à la maison de la Radio au printemps 2021, dans une éblouissante Symphonie n°14 de Chostakovitch, avec l'Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par Mikko Franck. Nous la retrouvons en ce 1er avril 2023, toujours avec le même orchestre, mais dirigé par Fabien Gabel, en remplacement de Mikko Franck souffrant. Et cette fois-ci, place à Richard Strauss. 

Asmik Grigorian lors des répétitions (© Radio France)

Asmik Grigorian lors des répétitions (© Radio France)

Avant de retrouver la soprano, le programme proposait Intermezzo: Quatre interludes symphoniques. Extraits d'un opéra en deux actes, moins connu de Richard Strauss, dont le livret relate les problèmes conjugaux d'un chef d'orchestre (en l'occurence Strauss lui-même) avec sa femme, suite à l'arrivée par erreur d'un billet à l'intention de monsieur. Le premier interlude permet d'entendre la touffeur de l'orchestre richement doté avant que le discours ne s'éclaircisse et qu'une valse fasse son apparition. Le chef en maîtrise les grande largeurs, avec beaucoup de caractère. Dans le deuxième interlude, la musique est plus contemplative.  Les cordes ont la part belle, le chef obtient un phrasé chantant, plein de vibrato, sans pour autant tomber dans le pathos. Le troisième interlude est quant à lui très chambistre, et les solistes de l'Orchestre Philharmonique de Radio France brillent de mille feux, notamment Hélène Collerette au violon. Le dernier interlude, bouquet final est intense et nerveux, le chef déploie toute son énergie et la tension ne retombe jamais, au contraire, la densité du tutti impressionne. Une très belle entrée en matière.

Avec Elektra, on entre tout de suite dans un territoire bien plus familier du répertoire. Strauss y malmène les voix des chanteuses pendant deux heures, en un acte unique, en osant les nuances les plus violentes, dans une intensité de tous les instants afin de ressentir les sentiments extrêmes des personnages. Le Monologue de Chrysothemis, soeur d'Electre, expose le désir d'enfant de ce personnage. Asmik Grigorian arrive sur la scène, dans une robe noire et jaune, avec des lunettes aux verres légèrement teintés, coiffée d'un chignon bien serré. Et dès que son air commence, une drôle d'ambiance s'empare de la salle. Une présence, un charisme, une évidence. L'intensité d'Asmik Grigorian dans le chant n'est à nulle autre pareil. Sa technique, moins dans la démonstration de maitrise scolaire que dans l'émotion et la spontanéité, convainc immédiatement. Elle emporte l'orchestre derrière elle, et va chercher des aigus stupéfiants, avec facilité et clarté. La prosodie allemande est impeccable et on goûte chaque mot du texte avec délectation. Une entrée en matière tonitruante avec un extrait d'Elektra exaltant.

Place maintenant à Salomé, avec la Danse des sept voiles tout d'abord. Episode mythique de l'histoire de Salomé où cette dernière danse devant son beau père Hérode. Episode purement symphonique, composé après le reste de l'opéra, il en récapitule certains thèmes dans une ambiance orientale, qui fait le bonheur des programmes de concert. Fabien Gabel dompte ici un orchestre pléthorique, aux cuivres et percussions généreux. La petite harmonie chante, surtout le hautbois d'Olivier Doise, dans un ostinato rythmique. Les rythmes (valse notamment) ici sont un ravissement et une invitation à la danse. La Philharmonie devient moite, on imagine le corps de Salomé bougeant avec sensualité devant le regard concupiscent de son beau père. Et Asmik Grigorian fait son retour sur scène afin de chanter la scène finale, et ne fait absolument pas baisser la température, bien au contraire, on est totalement envoûté. La puissance de sa voix irradie l'espace et embrasse la Philharmonie dans le début de la scène finale. Et quand Salomé déclare qu'elle embrassera Iokanaan sur la bouche, sur notre siège, on se dit que ce dernier a beaucoup de chance. La soprano fait ici face à un orchestre démesuré avec une facilité déconcertante, tant sa projection est efficace, et ses nuances fortissimos spectaculaires. Moment de bravoure extrême, quintessence du répertoire lyrique, le souffle dramatique de ces pages soulève le spectateur de son siège, et l'emplit de bonheur et de plaisir, dans un tourbillon d'émotions. Asmik Grigorian triomphe une fois de plus sur scène et embrase littéralement la Philharmonie de Paris. Définitivement une grande artiste dont on ne se lasse pas, et qu'on aimerait voir bien lus fréquemment dans nos contrées !

Programme du concert du 1er avril 2023 à la Philharmonie
RICHARD STRAUSS
Intermezzo : Quatre interludes symphoniques
Elektra : Monologue de Chrysothémis
Salomé : Danse des sept voiles et Scène finale


ASMIK GRIGORIAN soprano
ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE RADIO FRANCE
FABIEN GABEL  
direction

 

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