Hommes: Une sonde au coeur de l'âme masculine
Qu'est-ce qu'un homme ? C'est à cette question ô combien difficile à appréhender que se propose de répondre la jeune dramaturge, Laëtitia Leroy. Après son exploration de la figure du criminel l'année dernière dans Monstre moi, la compagnie Soleil Noir revient ici avec un projet tout aussi ambitieux, cependant dans le format d'un seul en scène intitulé Hommes. Car pour déterminer ce qu'est un homme, nous n'auront qu'un seul comédien (superbe Wilhem Frénée) qui en jouera pas moins de sept. La question se pose car à notre époque, divers courants de pensée, diverses idéologies, ont tendance à vouloir essentialiser et ranger les gens dans des cases. Ici les féministes, là les LGBTQ, encore ailleurs l'homme blanc cis hétéro (grand satan du 21ème siècle). Mais en faisant cela, on oublie ce qui nous relie les uns les autres, à savoir une humanité commune. On en oublie aussi le ressenti de chacun, et la capacité d'empathie, celle de d'avoir émotions, consubstantielle à chaque être humain (hormis les psychopathes). Et c'est un grand plaisir que de voir cette pièce sur la scène du théâtre de la croisée des chemins, qui n'élude rien des tares de notre société mais qui n'en oublie jamais la complexité qui s'attache à chaque individu.
Un thème d'actualité
Comme Beaumarchais décrivait avec précision les différentes classes sociales dans la société d'Ancien Régime au 18ème siècle, Laëtitia Leroy est ici en prise directe avec une certaine actualité de notre temps. Et comme souvent, la théâtre est le lieu le plus indiqué pour questionner la société. Pour sonder ce qui l'agite, et mettre le doigt là où ça fait mal. Il est vrai que le thème du féminisme est de plus en plus prégnant, et attire de plus en plus l'attention médiatique. La société française mais aussi l'Occident dans son entièreté, ne tolèrent plus qu'une femme soit battue et meure sous les coups de son conjoint. La libération de la parole suite à #MeToo a aidé à une prise de conscience, tant et si bien que l'expérience d'être une femme de nos jours en Occident est quelque chose qui est entré dans la conversation quotidienne. En revanche, on ne se pose pas la question de la masculinité parce qu'on l'impression d'avoir déjà les réponses. Le nom masculinité est constamment associé à l'adjectif toxique car les hommes sont concentrés sur leurs carrières. Les hommes font moins de tâches ménagères. Les hommes gagnent davantage que les femmes. Les hommes sont insensibles et n'aiment pas laisser paraitre leurs faiblesses. Les hommes sont violents, et chacun d'entre eux est un agresseur potentiel. Les hommes ne s'intéressent que au sexe... On en passe des meilleurs. Bien entendu, il n'y a pas de fumée sans feu, cependant, énoncer ces poncifs comme peuvent le faire certaines militantes, peut souvent s'avérer insatisfaisant, et heurter la sensibilité des hommes qui ne se reconnaissent pas dans ces descriptions.
Une écriture étayée et authentique
La grande force de ce seul en scène, est son écriture. Un texte riche mais écrit dans le langage courant, de son époque, qui permet une grande familiarité avec les personnages exposés. Chacun pourra se reconnaitre en partie dans un ou plusieurs des sept hommes qui sont exposés sur scène. Mais là où réside le plus grand intérêt, c'est d'observer le regard d'une femme sur le ressenti de ces hommes. Et on est souvent étonné par la justesse trouvée par Laetitia Leroy dans sa manière de dépeindre les sentiments de ses personnages. Cette authenticité et ce sentiment de vérité, sont également renforcés par la présence en voix off de témoignages réels d'hommes recueillis par la journaliste Alexandra Vépierre.
Un comédien généreux
Wilhem Frénée livre une performance riche, profonde et intense au travers des sept personnages qu'il incarne. Son engagement n'est jamais pris en défaut. Ses nuances sont très subtiles. La caractérisation des divers personnages est excellemment faite, notamment dans le travail au niveau du corps et de la voix. De l'énergie infinie de l'enfance, à la sagesse pleine d'ironie du vieux (pas si) con, on traverse avec lui les aventures de ses personnages. De l'enfant, qui se pose des questions sur l'anatomie humaine et se plaint de ne pas pouvoir grandir si on ne lui apprend rien, tout en ayant des réflexions pertinentes sur le type de jouets qu'on offre aux filles et aux garçons. A l'adolescent qui s'interroge sur son orientation sexuelle car en effet, être un homme n'est pas synonyme d'être hétérosexuel. Wilhem Frénée est également poignant dans le rôle de l'homme en détresse affective, déplorant son manque d'activité sexuelle, et se plaignant que les femmes ne s'intéresse parfois qu'à des hommes qui leur feront du mal au lieu de privilégier son authenticité à lui. Mais en effet, comment être soi-même dans cette société quand tout le monde nous juge et que l'apparence prime sur tout ? On sourit beaucoup devant le personnage du jeune homme qui vient de se faire éconduire par sa compagne et qui affirme qu'il devrait arrêter de fréquenter des féministes. On est ému devant ce jeune père qui prend conscience de tout le poids que l'arrivée d'un enfant représente pour sa compagne. Est ici introduit de façon très subtile le concept de charge mentale. Loin de l'idéologie, mais d'une façon concrète et pratique. Toute la difficulté de la situation est retranscrite parfaitement par le comédien dans un moment de grande émotion. On est également ému devant ce père retraité qui explore les moeurs anciennes de son père, définitivement derrière nous on l'espère. Enfin, le grand-père au crépuscule de sa vie qui se découvre woke mais qui pourtant, s'autorise toujours à avoir de l'humour ! Tous ces personnages sont réussis et disent une vérité de ce que c'est d'être un homme aujourd'hui.
Une mise en scène intelligente et efficace
Tout dans la mise en scène de Laëtitia Leroy concourt à l'installation des personnages et à les rendre le plus authentiques possible. Que ce soit simplement des jouets pour nous signifier que nous avons à faire avec un enfant. Ou juste les déplacements du comédien qui indiquent soit l'âge du personnage, soit directement l'émotion ressentie. Mais le point fort, ce sont ces transitions d'une scène à une autre avec les témoignages d'hommes en voix off qui viennent introduire le nouveau personnage qui va nous être présenté. La mise en scène prend son temps, ne va pas dans la facilité et nous aide au contraire à réfléchir. Tant et si bien qu'arrivé au bout, on se fait une plutôt bonne idée de ce que c'est que d'être un homme.
En conclusion, Hommes est une pièce infiniment intelligente, subtile, qui prend le temps de traiter son sujet correctement, sans jamais ne rien céder à la facilité et en déconstruisant les stéréotypes et préjugés. Ce texte permet de constater qu'une pièce de théâtre vaut parfois beaucoup mieux que de vains discours afin de faire valoir un point de vue. Et en tant qu'homme, on ne peut être que ému devant une telle réussite, si touchante et si authentique. En sondant l'âme des hommes, Laetitia Leroy leur fait la plus belle déclaration d'amour qu'on pouvait imaginer.
HOMMES Auteure: Laëtitia Leroy Mise en scène: Laëtitia Leroy Avec: Wilhem Frénée Au Théâtre La Croisée des Chemins (Salle Vaugirard - 43 rue Mathurin Régnier 75015 Paris) du 3 septembre au 23 octobre 2021, les vendredis à 21h et les samedis à 17h. Pour réserver : 01 42 19 93 63 ou sur le site du théâtre |
Théâtre | Compagnie Soleil Noir
La Compagnie de théâtre Soleil Noir met l'accent sur la création contemporaine. Actuellement, joue Monstre-moi, un thriller féministe.