Chung et le Philhar': Contre mauvais confinement bonnes symphonies dans Schubert et Beethoven
Dans La Peste de Camus, on remarque que dans la ville d'Oran, frappée par l'épidémie, l'opéra continue pourtant de donner des représentations d'Orphée et Eurydice. Si l'on transpose cela à notre époque, en pleine pandémie du Covid 19, la Maison de la Radio (et de la musique) demeure une citadelle où l'on continue à jouer de la musique chaque semaine. Même si cela se fait sans public, le fait que la chose se produise est à saluer. Surtout après une énième annonce de restriction de la part du Premier ministre la veille. Bien entendu, les micros (et parfois les caméras) de France Musique sont là pour capter l'ensemble et diffuser la musique au monde entier. Et votre serviteur est parfois présent pour en rendre compte.
D'après la brochure éditée par Radio France pour la saison 2020/2021, la soirée du vendredi 19 mars 2021 prévoyait l'Orchestre Philharmonique de Radio France sous la direction de Myung-Whun Chung pour la Symphonie n°9 de Mahler. Histoire de rattraper un rendez-vous manqué d'il y a quelques années. Les musiciens sont restés les mêmes mais le programme a un peu changé. Non pas une symphonie mais deux. Tout d'abord la Symphonie n°8 "Inachevée" de Schubert, puis la Symphonie n°7 de Beethoven.
En 1822, la Société musicale de Styrie, siégeant à Graz accueille Schubert en tant que membre d'honneur, ce dernier lui promet alors la partition d'une symphonie en guise de remerciement. Une promesse qui ne sera pas tenue mais qu'à cela ne tienne, un membre de cette illustre société, frère d'un ami de Schubert, détiendra par la suite deux mouvements de la 8ème symphonie ! Mais ce n'est qu'en 1865 que ces mouvements seront joués, par la suite, pour notre plus grand plaisir. Partition sauvée de l'oubli, et en cette soirée d'hiver 2021, sauvée de la pandémie. Ambiance particulière où l'on entend le chef s'adresser à son orchestre et se coordonner avec la cabine pour savoir quand commencer. Mais dès que la musique prend possession de l'auditorium de Radio France, tout rentre dans l'ordre et nos repères reviennent. Le début de l'Inachevée ne laisse pas le temps de se préparer. En si mineur, il expose une longue phrase en pianissimo murmurée par les cordes graves. On sent immédiatement un grand soin sur les nuances et la cohésion de l'orchestre. Une grande clarté et une belle intensité, en dépit de la nuance pianissimo. Le premier thème en si mineur est d'abord exposé au hautbois de la merveilleuse Hélène Devilleneuve, et à la clarinette. Mélodie prenante, qui entre dans la tête et qui met merveilleusement bien en valeur la petite harmonie de Philhar'. Dans ce mouvement intense, les différents pupitres s'expriment à merveille et offrent une belle palette de couleurs (notamment les trombones). Le deuxième mouvement brille quant à lui une fois de plus grâce à la qualité de la petite harmonie, notamment dans le deuxième thème. Bien qu'inachevée, cette symphonie semble complète et tout ajout pourrait paraître superflu, bien que des esquisses de scherzo nous soient parvenues.
La Symphonie n°7 de Beethoven a elle le mérite de nous être parvenue complète. Apothéose de la danse selon Wagner, elle recèle une énergie incroyable et met les musiciens à rude épreuve, notamment avec les rythmes fous du final. Composée en 1812, elle ne comporte aucun programme au contraire de sa devancière. Créée en 1813 à l'université de Vienne sous la direction du compositeur, le deuxième mouvement fut entièrement bissé. Car oui, encore aujourd'hui, cette partition est célèbre pour son Allegretto. Marche funèbre au milieu d'une symphonie assez guillerette ! Le premier mouvement noté Poco sostenuto - Vivace commence par une longue introduction exposant la tonalité de la majeur de la symphonie par un accord du tutti de l'orchestre. Dans ce passage, préparant l'arrivé du Vivace, le chef maintient les équilibres et progresse sereinement vers la deuxième partie du mouvement au rythme ternaire exquis. Le tempo est modéré mais la rigueur rythmique est admirable, surtout dans cette partition où cette notion est fondamentale. C'est pour cela peut-être qu'à la place d'un Andante traditionnel, nous avons un Allegretto en II. Sur le rythme d'une marche lente l'orchestre se déploie tranquillement et monte en intensité au gré des entrées des différents pupitres qui reprennent la même formule rythmique du premier thème. Le deuxième thème commence à la petite harmonie et instaure une ambiance exquise avant qu'un troisième motif ne s'invite et ne soit le sujet d'un fugato plaisant où le chef fait entendre à merveille toutes les voix. Le Presto en III est un grand moment de virtuosité et de puissance où l'on entend des fortissimos du plus bel effet. Enfin, le final noté Allegro con brio qui débute par un double accent rythmique fortissimo est un instant de bravoure ! C'est la fête du rythme, accentuations sur les temps forts, les temps faibles, contretemps incessants, des formules rythmiques variées pour notre plus grand plaisir. Malgré un tempo très allant, pas de retard dans les attaques, pas de décalage, tout est en place, à l'unisson et on frétille de plaisir sur son siège devant ce sommet de la musique si bien interprété. Par des gestes simples et modestes, le chef qui dirige par cœur, rend justice à cette musique dont nous avons tant besoin en ce moment.
Mettre de côté la 9ème de Mahler pour la 7ème de Beethoven dans ces temps troublés, était une excellente idée ! Nul besoin d'un adieu au monde lorsqu'on peut profiter de rythmes endiablés !
Concert disponible à l'écoute pendant un mois sur le site de France Musique.
FRANZ SCHUBERT Symphonie n°8 « Inachevée » LUDWIG VAN BEETHOVEN Symphonie n°7 ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE RADIO FRANCE MYUNG-WHUN CHUNG direction |
Que tu s beau @PhilharRF ! Cette 7ème de Beethoven donne la pêche, surtout l’hardiesse rythmique du final qui emporte tout. Et comme dans mes souvenirs, ça monte en décibels ! pic.twitter.com/5jqJHKPl6x
— Andika (@Nyantho) March 19, 2021
La Symphonie inachevée l'est-elle vraiment ? Oui, si l'on considère le nombre de ses mouvements : deux. Non, si l'on mesure la cohérence interne de ces deux pages brûlantes et désespéres, qui...
https://www.maisondelaradio.fr/evenement/concert-symphonique/mahler-ndeg9-myung-whun-chung