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Publié par andika

Il y a des monuments dans le répertoire de la musique symphonique auprès desquels on ne peut pas se permettre de passer à côté. La Symphonie n°8 de Chostakovitch en fait clairement partie. Symphonie dite de guerre, composée en 1943 pendant que les combats faisaient encore rage en URSS. L'auteur a voulu selon ses termes "recréer le climat intérieur de l'être humain assourdi par le gigantesque marteau de la guerre." Et on ne peut pas ne pas penser à la guerre actuelle en Ukraine lorsqu'il s'agit de cette symphonie. Pour l'interpréter le 2 juin dernier à l'auditorium, une vieille connaissance de Radio France, Juraj Valčuha, actuel directeur musical du Teatro San Carlo de Naples. Il retrouve ainsi la phalange parisienne pour ce programme avec la Huitième de Chostakovitch et en première partie, le Concerto pour trombone de James MacMillan, interprété par Jörgen van Rijen en soliste.

Poster du concert

James MacMillan compositeur écossais connu pour sa musique chorale, a composé son concerto pour trombone en 2016 suite à une commande de Jörgen van Rijen, trombone solo du Concertgebouw d'Amsterdam. La partition est écrite en mémoire de la petite fille du compositeur morte très jeune. Le thème initial est joué de façon tranquille par l'orchestre au début de ce concerto construit autour d'un mouvement unique. Le trombone solo joue dans un registre assez aigu, rappelant le cor ténor. Le sujet se déplace par la suite des cordes aux bois (picolo).  La deuxième partie est plus intense, le pupitre de cordes joue un rythme entrainant. Une variation scherzo de type danse, qui est sans doute la partie la plus réussie de l'ouvrage. On apprécie la virtuosité du soliste et enfin, un passage insolite où Jörgen van Rijen dialogue avec les quatre trombones du National qui rappellent un peu des éléphants. Une partition quelque peu étrange qui a pourtant des passages assez plaisants. On ne penserait pas spontanément au concerto pour trombone en allant au concert, cependant, c'est une expérience à vivre.

© Radio France

La Symphonie n°8 en do mineur de Dmitri Chostakovitch est une œuvre terrifiante. Cette musique prend littéralement aux tripes et nous fait nous interroger sur le pourquoi de l'art. L'art n'est pas forcément ce qui est beau et agréable. Chostakovitch ici, avec une technique infaillible, se sert de son art pour nous décrire l'horreur. L'écriture musicale la plus sophistiquée, l'orchestration la plus fine, sont employées non pour nous être agréables à l'oreille mais au contraire, nous interpeller. Chostakovitch a cela de particulier que sa musique nous touche physiquement. Sa musique traduit également un état psychologique assez clair, qui ne nécessite aucune notion de solfège ou traduction quelconque. Dès qu'on l'entend, on comprend et on se met au diapason. A observer les musiciens, Sarah Nemtanu, violon solo au premier chef, au visage dur et concentré, il ne peut y avoir aucun doute. L'attaque initiale des cordes basses dans l'Adagio du premier mouvement donne le ton. Le chef obtient un fortissimo des cordes tendu, intense mais point trop bruyant. Au contraire, il demeure dans le contrôle et construit patiemment son édifice. Le premier mouvement de cette symphonie est en effet un des sommets de l'œuvre du compositeur et est construite selon un mécanisme implacable. Le deuxième thème adoucit quelque peu l'atmosphère. L'implacable crescendo de l'adagio se met en place, de façon méticuleuse avant un paroxysme aux cuivres et au picolo. Enfin, le long solo de cor anglais amène une solennité impressionnante à la fin de ce mouvement magistral où Juraj Valčuha maintient constamment les équilibres et ne se perd pas en route, notamment dans le dosage des nuances. Le public ne s'y trompe guère en saluant ces pages de ses applaudissements. Et pourtant, ce n'est que le début. Le deuxième mouvement noté Allegretto est corrosif, acide, sinistre. Le chef n'atténue en rien le caractère brutal de cette musique et au contraire, à force de méticulosité, en fait un passage implacable. Humour grinçant, trilles aux vents, deuxième thème sarcastique au picolo, le malaise n'est pas loin. Et la tension ne retombe pas dans le troisième mouvement aux attaques violentes aux violoncelles. La petite clarinette rieuse, le rythme implacable de la toccata, où les noires à quatre temps règlent tout le mouvement (notamment aux altos et violons dont la tension ne retombe jamais). Et surtout, ces notes en pizzicati qui claquent aux cordes en fin de phrase, avec une violence effrayante. Après une série de dissonances, un roulement de tambour fait la transition vers la Largo, sans pause. Ce quatrième mouvement, construit sur la structure de la passacaille est d'une monotonie effrayante et implacable. Comme le quotidien répétitif des jours de guerre où l'on voit constamment le même paysage délabré, sans espoir d'amélioration. Les cordes ici sont méticuleuses dans cette marche funèbre qui n'avance pas et dont le statisme est le moyen et la fin. L'atmosphère change et l'accord parfait du do majeur se fait entendre et c'est ainsi que le dernier mouvement commence. Le basson solo entonne le thème qui circule par la suite aux cordes, puis au cor anglais. Mais la tonalité majeure ici n'incarne pas la joie, plutôt une résignation après tant de souffrances. Une façon d'accepter la dureté du réel et de s'en contenter. Les mélodies pastorales et enjouées ne durent d'ailleurs pas avant de laisser place une dernière fois à la violence, lorsque l'ensemble, arrivé à saturation, culmine avec les trompettes qui reprennent le premier thème du mouvement. L'étau vient une fois de plus se resserrer sur l'auditeur. Pour rappeler une dernière fois la douleur de cette musique, avant finalement l'accalmie. La précision avec laquelle cette partie est jouée impressionne, et ne finit pas d'émouvoir beaucoup, et de terrifier, un peu. La Symphonie n°8 de Chostakovitch est une œuvre qui coûte psychologiquement à chaque écoute. Impossible d'en sortir indemne. Impossible de profiter paisiblement de sa soirée après avoir entendu ce monument qui décrit le monde dans sa laideur, à l'aide pourtant, du plus grand génie. 

Juraj Valčuha et l'Orchestre National de France à l'issue de la 8ème de Chostakovitch (© @Nyntho Twitter)

Juraj Valčuha à la tête du National offre une interprétation rigoureuse et profondément juste de cette symphonie. Sans temps mort, sans relâchement, sans atténuation. Avec au contraire, beaucoup d'intensité et de profondeur.

Concert disponible à l'écoute pendant un mois sur France Musique 

Programme du concert du 2 juin 2022 à l'auditorium de Radio France
JAMES MACMILLAN
Concerto pour trombone (création française)

DIMITRI CHOSTAKOVITCH
Symphonie n° 8 en ut mineur, opus 65

JÖRGEN VAN RIJEN trombone
ORCHESTRE NATIONAL DE FRANCE
JURAJ VALČUHA
 direction

 

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