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Publié par andika

Encore une étape de plus vers un retour à la normalité. En effet, le jeudi 25 juin 2020, le public a fait son retour à l'auditorium de Radio France. Et ce, pour un concert au programme passionnant, donné par l'Orchestre National de France, dirigé par le français François-Xavier Roth, avec du Carl Philip Emmanuel Bach, Bohuslav Martinů et enfin, Béla Bartók.

François Xavier Roth à la tête de l'Orchestre National de France
© Christophe Abramowitz / Radio France

Mais vu le contexte, il ne s'agissait évidemment pas que de musique et il était nécessaire de marquer le coup. La présence du public est un événement, même si la jauge était réduite de moitié, et qu'il fallait laisser un siège d'écart avec son voisin. Mais cela est toujours mieux que pas de concert du tout, et cette situation demeure la norme dans beaucoup d'endroits de la planète. Michel Orier, directeur de la musique de Radio France, a d'ailleurs rappelé que ce concert mettait fin à une période de 105 jours sans public à Radio France... Inouï et presque jamais vu !

La Symphonie en sol majeur de Carl Philipp Emmanuel Bach (fils de) qui commence ce programme est pleine d'audace. Avec ses rythmes soutenus, ses phrases aux conclusions abruptes, ses modulations étonnantes, cette absence de menuet mais surtout, cette tension émotionnelle inspirée de l'Empfindsamkeit allemand. L'orchestre en petite formation joue avec des musiciens qui semblent le plus près possible les uns des autres dans ces circonstances. Cela a un effet sur la cohésion de l'ensemble dans le premier mouvement sautillant, noté Allegro di molto. François Xavier Roth transmet l'énergie nécessaire de ces pages, sans baguette mais avec force gestes et mouvements, plein de grâce et de clarté. On apprécie la netteté et les équilibres trouvés dans le deuxième mouvement, Poco adagio. La tenue des cordes du National y est admirable, surtout du côté des graves qui sont marquants lorsqu'ils marquent les fin de phrases. Enfin, le troisième mouvement est une ode au dynamisme et aux contrastes. Mais surtout, une pluie de contrechants délicieux utilement mis en valeur par le chef. Fabuleuse entrée en matière.

Changement d'ambiance avec le Double concerto pour 2 orchestres à cordes, piano et timbales de Bohuslav Martinů, interprété avec la complicité du pianiste Cédric Tiberghien. Martinů, de nationalité tchèque, compose cette œuvre en 1938, à une époque où son pays subit les agressions de l'Allemagne nazie. Cette ambiance pesante se ressent dans sa musique. Mais aussi sur le plateau où l'orchestre se place en fond de scène pour laisser de la place au pianiste sur le devant, et permettre ainsi de changer de formation, sans avoir à modifier le plateau. Dans le premier mouvement Poco allegro, le piano se détache peu de l'orchestre. Le son est dense, gros, la tension est exacerbée, Tiberghien a un jeu dur parfois métallique, parfaitement adapté à l'ambiance de cette musique opaque. Tout cela est contrebalancé par les jeux de lumières sur la scène. La tension est à son comble, et on admire les nuances, surtout lorsqu'elles partent dans d'élégants fortissimos. Le deuxième mouvement dépeint une ambiance sombre et tragique avec des cordes incandescentes rappelant le son d'une sirène. La cadence du pianiste est étrange mais jouée de manière claire et articulée, et cela contraste avec le doute exprimé par la partition. Le final est empreint d'un sentiment d'urgence, le chef veille à ce que la tension ne retombe jamais dans cette étrange musique, le rythme est soutenu et le pianiste s'extrait enfin de l’orchestre et nous fait profiter de ses beaux graves. Une résolution étrangement calme en revanche pour une musique vraiment haletante. Le bis du pianiste, plein de trilles et de mélodie bien phrasée, avec force couleurs, est un contraste intéressant par rapport au double concerto. Et Cédric Tiberghien excelle dans les deux registres.

En 1939, juste avant le début de la guerre, Béla Bartók compose son Divertimento pour orchestre à cordes suite à une commande de Paul Sacher, dans un climat de grande inquiétude. Inquiétude qui se ressent dans sa musique. Qu'elle est loin l'époque de Mozart où le divertimento était léger au sein de petits ensembles. Pour le compositeur, le divertimento désigne une musique angoissante car elle fait ressentir l’angoisse de l’auteur qui doit retourner à la guerre. Et c'est tout le programme de cette œuvre. Le premier mouvement, noté Allegro non troppo, bien que dansant, ne cesse de troubler par ses dissonances. La fougue du chef emporte tout dans la façon de gérer le tempo, le rythme, mais aussi l'équilibre des plans sonores. Le deuxième mouvement offre un univers mystérieux, fait de multiples questions et réponses, où les pupitres se mettent à dialoguer avec éloquence. Cela permet de constater que les cordes du national n'ont aucunement perdu leurs vertus durant le confinement. Le troisième mouvement, Allegro assai, est quant à lui un festival de danse, empli de contretemps et de syncopes. Roth maintient constant le rythme et fait danser l'orchestre avec beaucoup de maîtrise. Saluons également le beau solo de Sarah Nemtanu au violon.

Beau programme mettant face à face à la figure de Carl Philipp Emanuel Bach qui représente une transition dans l'écriture musicale, et deux compositeurs du XXème siècle qui ont écrit dans des périodes troublées. Cela fait écho un peu à l'actualité, mais il faut se souvenir que à la fin, les ténèbres reculent. Le retour du public dans ce magnifique auditorium en est un signe éclatant.

Programme du concert du 25 juin 2020 à l'auditorium de Radio France
Carl Philipp Emanuel Bach
Symphonie en sol majeur H 657 (W 182/1)

Bohuslav Martinů
Double concerto pour 2 orchestres à cordes, piano et timbales, H 271

Béla Bartók
Divertimento pour orchestre à cordes BB 118

Cédric Tiberghien piano 
Orchestre National de France 
François-Xavier Roth 
direction 

Concert disponible en vidéo sur le site de France Musique

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