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Publié par andika

3h45. Ce chiffre nous frappe immédiatement sur le programme du concert. Quel est donc ce récital pour piano qui dure aussi longtemps ? Bien entendu, on a déjà vu plus long, notamment avec Nicolas Horvath, mais tout de même, c'est très inhabituel. Et pourtant, ces 3h45 (avec entractes), nous ne les avons absolument pas vues passer tant Yury Favorin a enchanté le public qui a eu le bon goût d'être présent à ce concert un dimanche après midi d'avril 2019, à l'Auditorium de la Maison de la radio ? Après un premier récital fin 2017 au studio 104, il était de retour pour un concert fleuve. Mais quelle musique peut susciter une scène que l'on voit rarement à Radio France, à savoir l'ensemble du public debout à l'issue du concert ? Il ne s'agit non moins que de l'intégrale des Années de pèlerinage de Franz Liszt. Le compositeur a mis près de quarante années avant d'en livrer la version définitive, au travers de ses voyages en Suisse et en Italie, on découvre un impressionniste, qui dans sa prime jeunesse met en avant sa virtuosité et qui peu à peu, met son égo de côté et gagne en profondeur le temps avançant au crépuscule de son existence. Oeuvre d'une richesse inépuisable, elle met le pianiste qui s'y attaque à rude épreuve. Premièrement en raison de l'effort phénoménal de mémorisation que cela requiert. Ensuite, techniquement, il n'est pas aisé de concevoir plus difficile. 

Yury Favorin à l'auditorium de Radio France le 7 avril 2019

Yury Favorin à l'auditorium de Radio France le 7 avril 2019

Yury Favorin avait alors une lourde tâche. Mais il avait également deux précieux alliés. Tout d'abord l'acoustique fabuleuse de l'auditorium de la maison de la Radio pour la musique de chambre. Ensuite, un piano Stenway parfaitement réglé. Lorsqu'il pénètre sur scène, le pianiste salue sobrement le public et sans plus attendre, commence son périple (pour ne pas dire pèlerinage !)

Première année, Suisse: L'émotion

Rien de plus doux que le début de cet ouvrage, des accords en noires qui se succèdent dans  La chapelle de Guillaume Tell puis soudainement, l'apparition de doubles croches à la main gauche, des mains qui se croisent et l'agitation. Immédiatement, Yury Favorin captive l'auditoire. Il n'y a pas de round d'observation, dès la première note, on est happé, on est emporté par sa technique tout d'abord, qui semble être infaillible. On apprécie l'usage généreux de la pédale qui offre une résonance réconfortante et arrondit encore davantage le son. La réverbération offerte par la salle offre un confort d'écoute incomparable, avec tout cela, on profite bien des différentes harmonies qui nous sont exposées. Le passage dénommé Au lac de Wallenstadt en est une belle illustration. Le soin apporté aux nuances est constamment millimétré et juste. Que ce soient les passages dans l'extrême aigu du clavier dont la clarté n'est jamais remise en défaut, dont le chant est aussi clair que de l'eau, à ce titre, l'évocation de Au bord d'une source, passage emprunt d'une fabuleuse délicatesse et de la redoutable Vallée d'Obermann. Mais la puissance de ce pianiste impressionne tout autant, tant ses octaves font littéralement trembler la salle lors du stupéfiant Orage. Pages de virtuosité et d'héroïsme, elle ne peuvent en aucun cas laisser indifférent, surtout jouées de la sorte, avec un engagement infaillible, une précision diabolique. Une véritable générosité dans ces fortissimos où Favorin n'hésite jamais à envoyer ce qu'il faut. A l'issue de cette première année, le concert est d'ores déjà un succès tant on sent que l'on assiste à un événement exceptionnel, et pourtant, c'est loin d'être fini !

Deuxième année, l'Italie: La virtuosité

L'année la plus longue, la plus virtuose, la plus fougueuse, la plus extravagante. On se rend compte que non, la première partie est loin de nous avoir rassasiés. Avec un Yury Favorin requinqué après un premier entracte, on part cette fois-ci pour une heure non stop. Tout mène vers l'apothéose de Après une lecture de Dante (fantasia quasi sonata). Quelle lecture ? Nécessairement Les Cercles de l'enfer tant les difficultés s'accumulent pour le pianiste et tant il joue déjà depuis longtemps. Une main gauche admirable, omniprésente, donnant l'impulsion, de la tension, un rythme soutenu qui ne retombe pas, des tempi vifs. Il ressort de ces pages une véritable violence, une une violence qui libère une certaine tension et qui n'est absolument pas superflue dans le cheminement de cette musique. C'est la fougue, l'envie de prouver, de briller. A l'issue de cette deuxième année, une ovation encore plus forte que celle consécutive à la première. Et un rappel pour un supplément prévu au programme,  Venezia e Napoli. Musique insensée et d'une virtuosité à couper le souffle que Favorin offre avec une facilité déconcertante.

Troisième année, l'Italie: La sagesse

Après les deux premières années, on en veut encore, définitivement, on aimerait que le concert ne s'arrête jamais tant ce flot de musique est agréable. La troisième année est placée sous le signe de la sagesse et du drame, les intentions du pianiste ici sont encore davantage centrées sur la construction du discours musical, l'équilibre des plans sonores. Ces pages ne sont pas faites pour briller mais pour se recueillir. Mais le romantisme n'est jamais loin, notamment Aux cyprès de la villa d’Este. Le lumineux chant donné par Favorin dans les Jeux d'eau offre quant à lui une virtuosité sobre. Les outils utilisés dans cette troisième année sont plus réfléchis, moins clinquants et pourtant, tout aussi percutants, notamment dans la Marche funèbre (« In magnis et voluisse sat est ») qui alterne une partie exclusivement dans les grave, puis un enchaînement d'accords et de couleurs différentes. Ici, le pianiste caractérise bien chacune des ambiances. 

Conclusion

Les Années de Pèlerinage de Liszt, c'est une aventure incroyable. Et lorsque qu'elle nous est offerte par un pianiste de la trempe de Yury Favorin, cela devient un instant inoubliable. l'oeuvre de toute une vie devient ainsi un souvenir pour la vie, tant on expérimente les délices de la musique de Liszt en près de 4h. Tant la performance du pianiste captive l'auditoire et enfin, tant l'émotion est forte.

 

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