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Publié par andika

Je suis fou, enfin pas tout à fait, mais cela n’empêche pas que je sois pensionnaire d’un établissement public de santé. Il s’agit ici d’une belle dénomination officielle pour qualifier ce que l’on appelle habituellement l’asile dans le langage courant. J’y suis pour une raison simple, je sais voler. Je suis capable de fendre l’air tel un faucon, je suis né comme cela figurez-vous. Toutefois, notre société actuelle n’est pas prête à faire face à des personnes comme moi, avec des capacités particulières. C’est pour cela que je gardais ce pouvoir secret. Je ne volais jamais en public, c’était ma seule et unique règle. Néanmoins, il est parfois difficile de s’isoler totalement du monde et je tiens énormément à mon secret. Pour combler ce manque de vol, j’ai recours à plusieurs palliatifs, comme par exemple le parapente, le saut en parachute, le saut à l’élastique… Et lorsque je n’y tiens plus, je vais en forêt, j’y suis en tête à tête avec la nature. En revanche, j’ai été pris pour cible par des chasseurs négligents à plusieurs reprises et par conséquent, j’ai décidé de cesser ces petites escapades. Un accident est si vite arrivé vu que ces gens ont souvent tendance à confondre un homme avec un sanglier.

Un jour, j’ai ressenti le besoin ardent de partager mon secret avec quelqu’un. Il me fallait absolument trouver une personne qui me comprenne sans toutefois me compromettre. Je me suis tout naturellement tourné vers un psychiatre. L’avantage avec eux, c’est qu’ils sont soumis au secret professionnel. J’y allai donc sans crainte. Grave erreur…

J’ai pris rendez-vous avec le Dr Roux à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre pour une consultation, le lundi matin à neuf heures. J’y suis arrivé extrêmement confiant. Après les présentations d’usage, j’entrai directement dans le vif du sujet : «

  • Je sais voler docteur.
  • Ah bon monsieur ? Voler dans quel sens ? La lévitation comme pour un numéro de prestidigitation ? Je suis un grand amateur de ce genre de performance !
  • Non, je vole véritablement, comme un oiseau ou encore, comme Superman si vous préférez, ajoutais-je stupidement !
  • Voyons, vous savez bien que c’est impossible. »

A ce mot, impossible, mon sang ne fit qu’un tour et je me mis en tête de lui prouver sur le champ mes capacités. Ce doute insidieux, cette remise en question de ce qui faisait ma spécificité, je ne pouvais les souffrir. Alors, je me suis élancé pour prendre mon envol dans le bureau de ce médecin lorsque tout d’un coup, je rencontrai brutalement la gravité chère à Newton. Ma chute fut si ridicule que le Dr Roux s’avéra incapable de réprimer son éclat de rire. Ne pouvant tolérer cette humiliation, je décidai de retenter de m’envoler. Nouvel échec. Le Dr Roux ne s’arrêtait pas de rire. Alors, là, saisi de fureur, je me précipitai sur le pédant médecin afin de l’étrangler. Après son rire, j’entendais maintenant ses cris. Le bruit qui provenait du bureau ne passait pas inaperçu et c’est pour cela que je n’ai pas pu mener à bien mon ambition meurtrière. Rapidement, du renfort est arrivé puis le trou noir. Je me suis réveillé je ne sais combien de temps après cette consultation, attaché à un lit, comme il se devait. Mine de rien, j’ai pu passer pour un fou lors de cet épisode et pourtant, je sais bien que je ne suis pas fou. Je sais bien que je peux voler et pourtant, j’étais dans l’incapacité de le prouver. Comment était-ce possible ? Je n’avais jamais éprouvé aucune difficulté à prendre mon envol auparavant et là, subitement, dès que j’ai voulu montrer ce pouvoir à quelqu’un, j’en ai été incapable. Etait-il possible que mon pouvoir ne s’exprime que lorsque j’étais totalement seul ? C’était une éventualité à creuser, malheureusement en l’état actuel des choses, entravé comme je l’étais, il m’était impossible de le vérifier.

Bien entendu mes exploits dans le bureau du Dr Roux m’avaient valu un internement d’office, j’adaptai donc ma conduite à ce nouveau contexte. Je n’opposai aucune résistance, je coopérai avec le personnel médical, j’acceptai tous les traitements et surtout, surtout, je ne parlai en aucune façon de l’éventualité que je puisse m’envoler, je fis même du zèle en affirmant que j’en étais totalement incapable. Je pus sortir au bout de douze jours, les médecins n’ayant pas pu convaincre le juge de me garder hospitalisé. De ce séjour, je retiens l’Haldol qui a été un compagnon fidèle, en outre, par-dessus tout, je garde en mémoire ma rencontre avec Zerlina. C’était le jour de ma sortie, elle sortait également d’une hospitalisation, nous faisions la queue et elle se trouvait devant moi. Elle fit tomber sa carte vitale, je me précipitai pour la ramasser et nos regards se croisèrent. Elle me remercia puis nous poursuivîmes une conversation forte intéressante. Zerlina est grande, brune, les yeux verts, elle a des tendances suicidaires et porte des lunettes avec des montures rouges. Ce qui la déprime actuellement, c’est d’être incapable d’en finir avec sa thèse de droit, elle se sent submergée. Il est vrai qu’il s’agit ici d’une excellente raison de vouloir en finir définitivement, rien de tel pour se débarrasser d’une thèse de droit. Ce qui la rendait si spéciale à mes yeux, c’est qu’elle n’eut aucun mal à croire que je savais voler. De surcroît elle me croyait sans que je n’aie rien à lui prouver ! Ainsi, ma vie reprit un cours tout à fait normal, j’étais retourné à mon métier de metteur en scène et directeur de théâtre, je suivais mon traitement et je continuais même à consulter le cher Dr Roux, que je n’avais plus du tout envie d’estourbir. Tout allait bien dans le meilleur des mondes sauf que je ne parvenais plus du tout à voler. Même lorsque j’étais totalement seul, je n’y parvenais pas. Tant et si bien que je commençais à me demander si je n’avais pas inventé tout cela. D’ailleurs, il était clair pour mon médecin que j’étais un psychotique sujet à des hallucinations et il faut dire que je n’avais pas fait grand-chose pour aller à l’encontre de cette apparence. Et pourtant, je savais que je pouvais voler, et pourtant, je n’en étais plus capable. C’était peut-être à cause de mon traitement, à cause du traumatisme de mon hospitalisation, ou du fait que j’avais révélé mon secret. Toutefois, cela ne me faisait guère de peine, j’avais trouvé l’amour avec Zerlina et j’en étais enchanté. La seule ombre au tableau, c’est qu’elle était toujours suicidaire. J’ai beau avoir beaucoup d’admiration pour les personnes suicidaires, respecter le fait qu’elles prennent les mesures appropriées en général pour échapper à l’absurdité de la vie, l’idée que ma Zerlina puisse disparaître m’indisposait. Elle n’était pour ainsi dire jamais passée à l’acte et c’est cela qui me faisait peur. Elle n’était pas du genre à faire des tentatives pour attirer l’attention sur elle. Non, lorsqu’elle s’y mettrait sérieusement, elle ne se manquerait pas, j’en étais persuadé. Comment moi, Jean, directeur d’un obscur théâtre, ayant perdu la faculté de voler, étant officiellement fou, pouvais-je sauver cette femme ? Je l’emmenais dans mon théâtre, je lui donnais même des rôles pour sortir un peu d’elle-même, je lui écrivais des poèmes, je la couvrais de cadeaux, je l’initiais à la sextape or son mal être était toujours présent. Elle avait beau m’aimer, cette satanée thèse et le sentiment de ne pas évoluer la consumaient. J’étais de plus en plus inquiet et je me savais dans l’incapacité d’exercer une surveillance de tous les instants à même de prévenir un passage à l’acte. J’étais bien dans la merde, mine de rien.

***

J’avais rendez-vous aujourd’hui avec Zerlina pour aller déjeuner. Je devais aller la retrouver dans son laboratoire où elle menait ses recherches pour son interminable thèse. Une fois sur place, rien ne se passa comme prévu. Heureusement, je n’eus aucun mal à trouver Zerlina, je n’étais visiblement pas le seul à l’avoir remarquée. En effet, une foule compacte était en dessous du laboratoire et Zerlina s’était juchée sur le toit et tout le monde la regardait. J’étais pétrifié, la connaissant, j’avais peu de doutes sur ce qu’elle avait l’intention de faire. Et dire que nous devions simplement déjeuner ensemble aujourd’hui. Bien entendu, tout le monde était en train de crier pour la dissuader de sauter et à peine ai-je eu le temps de m’associer à ces récriminations qu’elle sauta de bon cœur ! Je ne savais plus où j’étais, je ne savais plus ce que je faisais, je n’ai pas eu le temps de réfléchir que je m’envolai déjà comme une fusée pour la secourir. Ainsi, j’étais véritablement capable de voler devant témoin ! Je sentis le vent sur mes tempes et je rejoignis ma chère et tendre. Nous nous envolâmes loin du laboratoire. Pendant ce vol, plus rien ne comptait, il ne m’importait plus de savoir si j’étais fou ou non, si j’étais capable de voler ou pas, je voulais juste partir très loin. Le moment d’atterrir arriva et une fois au sol, Zerlina me dit : «

  • J’ai toujours su que tu n’étais pas fou et que tu savais voler !
  • Mine de rien, on s’en fout ! rétorquais-je. »

Fin

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A
Très bon article. Mais juste une petite remarque. Il est écrit au début "Ce qui la déprime actuellement, c’est d’être incapable d’en finir avec sa thèse de droit" et puis, vers la fin "Je devais aller la retrouver dans son laboratoire où elle menait ses recherches pour son interminable thèse". Je ne pensais pas, jusqu'à ce jour, qu'on étudiait le droit en laboratoire...
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A
Et pourtant;, ça existe ! Bien entendu, il n'y a pas d'instrument de mesure dans ce genre de laboratoire. Il est vrai qu'on associe ce mot, spontanément à de la chimie ou encore des sciences naturelles, mais il existe bien évidemment des laboratoires en droit ! Regardez ce site par exemple: http://ldsocial.u-paris2.fr/