La soirée intime du Philhar' et Piotr Anderszewski dans Mozart et Haydn
En règle générale, le Philhar'intime, rendez vous de musique de chambre des membres de l'Orchestre Philharmonique de Radio France et un ou plusieurs musiciens invités, se déroule le dimanche après-midi. Cependant, pour ce concert du vendredi 9 juin 2023 à l'auditorium de la maison de la radio et de la musique, on se serait cru parfois dans un concert de musique de chambre. En effet, les effectifs requis pour interpréter Mozart et Haydn ne sont pas très conséquents, que ce soit dans le Concerto pour piano et orchestre en ré majeur Hob. XVIII:11 du premier nommé, ou dans le Concerto pour piano et orchestre n° 24 du second. Concertos dirigés par Piotr Anderszewski depuis son piano. Et on est d'autant plus dans un ambiance chambriste lorsque, entre les deux concerto, un quatuor à corde est programmé. Il s'agit du cinquième de la compositrice italienne, Maddalena Lombardi Sirmen. Et le tout, sans entracte !
En 1780, époque de composition du Concerto pour piano et orchestre en ré majeur Hob. XVIII:11 de Haydn, régnait encore le clavecin. Le pianoforte "moderne" commençait à peine à s'imposer. Ainsi, Haydn n'a pas laissé de traces aussi marquantes dans ce genre que son compère Mozart. Cependant, ce concerto demeure sans doute le plus connu son compositeur. Le premier mouvement noté Vivace, commence de façon très légère et aérienne aux cordes, menées pour la soirée par le premier violon solo invité Saténik Khourdoïan. Piotr Anderszewski, face à l'orchestre, devant le piano et de dos au public fait son entrée de soliste de façon simple, sans affectation, en faisant sonner le piano justement comme un clavecin, sans pédale ni effet superflu. Le staccato est piquant, la pulsation vivante et le caractère Vivace est ainsi retranscrit avec subtilité et sobriété. Les cordes se font plus denses au fur et à mesure du mouvement avant une cadence aux dimensions plus orchestrales de la part du soliste. Le deuxième mouvement, Poco adagio est léger et élégant, Piotr Anderszewski chante au piano de façon délicate avant le final, un rondo à la hongroise où l'intensité augmente. L'Orchestre philharmonique de Radio France se fait bondissant. Les notes fusent aux cordes et le soliste par son jeu et ses admirables trilles, fait sonner son piano de façon hongroise. Une belle entrée en matière.
Alerte rareté avec le Quatuor à cordes n°5 de Maddalena Lombardi Sirmen. D'une part parce qu'il s'agit d'une compositrice. Et d'autre part, parce que sa musique est rarement jouée de nos jours. Enfant prodige au 18ème siècle, ayant reçu une solide éducation musicale, elle a pris le soin de faire graver quelques unes de ses compositions. Ce quatuor n°5 en deux mouvements commence par un Larghetto-Allegro. La première partie, douce lamentation, triste ne tarde pas à entrer dans la séquence allegro où l'intensité grimpe, avec notamment le violoncelle qui donne l'impulsion. L'équilibre entre les pupitres est admirable et l'ambiance, joyeuse, tant le plaisir de l'écoute mutuelle des musiciens semble évident. Le deuxième mouvement, charmant menuet est amusant, rieur, et joueur. La pulsation à trois temps est stable mais les temps accentués dans la mesure amènent une incertitude qui ne finit pas d'interpeller l'oreille. Une bien belle œuvre.
Piotr Anderszewski dirigeant l'Orchestre Philharmonique de Radio France du piano lors de la générale (© Christophe Abramowitz / Radio France)
Mozart n'a composé que deux concertos pour piano en tonalité mineure. Le ténébreux 20ème K 466 en ré mineur de 1785. Et le Concerto pour piano n°24 en ut mineur, K 491 de 1786. On essaye parfois d'y voir des significations autobiographiques, mais souvent l'art se suffit à lui-même. Toutefois, en analysant un peu, on trouve dans cette partition des choses inhabituelles. Comme ce premier motif orchestral quasiment atonal. Et surtout, cette orchestration qui sollicite davantage d'instruments que d'habitude. Pour la première fois dans un concerto pour piano, Mozart convoque deux clarinettes et deux hautbois en même temps. Malgré cela, Piotr Anderszewski opte pour le choix de la sobriété dans le début du premier mouvement, ténébreux Allegro, pris ici de façon simple aux cordes. Sans fioriture, presque avec discrétion tant le premier thème peut s'avérer dramatique dans cette tonalité de do mineur. Au contraire, la place est faite nette pour la petite harmonie où la flûte de Magali Mosnier, le hautbois de Hélène Devilleneuve et la clarinette de Nicolas Baldeyrou se distinguent. En outre, l'avantage avec un soliste au piano qui dirige l'orchestre, c'est la cohérence constante dans les idées de chacun et dans l'interprétation. L'entrée du piano de Piotr Anderszewski sur un nouveau motif interrogateur, se fait avec simplicité. Sans pédale. Avec un jeu dépouillé, et beaucoup de douceur dans le nuances. Au fur et à mesure du développement l'intensité augmente, les cordes gagnent en densité, la progression dramatique est d'une parfaite intelligence. La dialogue qui s'instaure entre le soliste et les différents pupitres de l'orchestre est fécond avant une cadence du soliste, orchestrale et virtuose. Le Larghetto est l'occasion du retour d'une grande sobriété, voire, de la modestie de la part de Piotr Anderszewski. Un peu de vibrato au cordes. Mais surtout, l'écriture formidable des vents (qui exposent les motifs) par Mozart dans cette partie, est servie avec grâce par le Philhar'. Une vraie douceur dans le dialogue ente le soliste et l'orchestre se fait entendre, Piotr Anderszewski donnant parfois l'impression de seulement effleurer le piano, dirigeant en même temps parfois d'un simple regard, ou d'un signe de la tête. L'Allegro conclusif, rondo incisif, est de nouveau appréhendé de façon sobre aux cordes. Toujours cette retenue mais qui contraste avec l'entrée tonitruante de Piotr Anderszewski. Son jeu est robuste, la pulsation est métronomique dans cette mesure ternaire à 6/8. Le tempo est vif et la progression de l'intensité dans le jeu du question réponse entre le soliste et l'orchestre est croissante. Le son devient de plus en plus charnu. A penser que le chef et pianiste ménageait ses effets pour la fin, où sa sobriété était enfin laissée de côté pour l'abandon dans la dramaturgie de ce concerto. Une interprétation humble, soignée et surtout, pleine de tendresse de ce si beau concerto.
Et ce programme relativement court, intimiste, en petit comité, laissait tout de même de la place à un peu de rab. Et en bis, quelle offrande de Piotr Anderszewski et de l'Orchestre Philharmonique de Radio France avec le sublime Andante du Concerto pour piano et orchestre n°12 en la majeur, K 414 de Mozart, encore un grand moment de douceur où le compositeur cite un thème de son ami, Johann Christian Bach, récemment disparu en 1782.
Concert disponible à l'écoute pendant un mois sur France Musique
JOSEPH HAYDN Concerto pour piano et orchestre en ré majeur Hob. XVIII:11 MADDALENA LOMBARDINI SIRMEN Quatuor à cordes n° 5 en fa majeur, opus 3 n°5 WOLFGANG AMADEUS MOZART Concerto pour piano et orchestre n° 24 en ut mineur, K. 491 ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE RADIO FRANCE SOPHIE PRADEL violon MATHILDE KLEIN violon CLÉMENCE DUPUY alto NICOLAS SAINT-YVES violoncelle PIOTR ANDERSZEWSKI piano et direction |
Soirée magique du @PhilharRF sous la direction éclairée de Piotr Anderszewski. Chambriste chez Haydn. Diabolique de précision dans le Concerto n°24 de Mozart où il retient les cordes et laisse les vents s’exprimer. Dirigeant humblement du piano avec dévouement et talent ! pic.twitter.com/42Wg9x9J87
— Andika (@Nyantho) June 9, 2023