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Publié par andika

Florent Nagel est un jeune homme de son temps. Compositeur, pianiste, enseignant, la musique occupe sa vie depuis des années. Après le succès de son Alice au Pays des merveilles, il est de retour cette année avec son Livre pour piano paru chez Azur Classical, qui revient aux sources de la forme musicale. Rencontre pour un entretien passionnant et étonnant.

Couverture du disque du "Livre pour piano"

Couverture du disque du "Livre pour piano"

Quel est votre premier souvenir de musique. Votre première rencontre avec la musique ?

 

Florent Nagel : Lorsque j’avais quatre ou cinq ans, j'improvisais sur le piano d'une tante. J'inventais des choses assez imagées, ce qui faisait danser mes cousins en même temps. Bref, on s'amusait. C’est un premier contact avec l'instrument dans un rapport social, mais en même temps très brut. Ensuite j'ai suivi quelques cours de flûte, aux termes desquels mes parents ont récupéré le piano de ma tante, et j'ai pu prendre mes premières leçons de piano. 

Mais tout cela n'est pas très important, parce qu’une première approche n'est pas systématiquement représentative d'un conditionnement éventuel des choses. Il y a les rencontres, et tout le reste qui fluctue sans cesse.

 

Après, il faut savoir ce qu’on entend par musique. Et pour répondre à cette question, il faudrait commencer par la définir. Pour moi il n'y a pas de « musique » toute seule. La Musique, c'est vous, c'est moi, c'est nous, c'est la nature, c'est cette vibration commune à la fois à tout ce qui est autour nous et en même temps en nous. C'est le moyen le plus naturel de bouger vers une sorte de transcendance, ou de liberté, appelez ça comme vous voulez.

Il n'y a donc pas de premier contact, de la même façon qu'il n'y en a pas de dernier. La première rencontre, c'est tout le temps et c'est jamais à la fois.

 

 

 

Que voulez-vous transmettre à travers votre musique ?

 

F.N. : La musique est aussi une activité de penser à part entière. C'est quelque chose de l'ordre de la création perpétuelle. Je ne sais pas si l'on transmet véritablement, car la transmission est souvent liée à la notion de passé. Dès lors qu’on est dans le passé, on n’est plus dans la création. 

 

Quand je compose, je n’ai pas de support littéraire ou pictural, je ne suis pas gouverné par des inspirations extérieures. La poésie ne me touche qu'en poésie, la peinture qu'en peinture. L'inspiration, c'est tout ce qu'on dit pour parler ou pour faire parler les autres. C'est de la littérature pour légitimer les choses.

Je ne dis pas que je suis inspiré, parce que j'entends. Pour moi, se mettre à l'écoute est la seule façon de se consacrer entièrement et totalement à ce que je fais.

 

Un texte musical, la partition, c'est aussi de la littérature. Liszt disait d'ailleurs que l’écriture musicale était très pauvre justement concernant les informations de nature musicale. Parce que la vraie musique ne s’écrit pas, elle laisse une trace. L’écriture, le disque, la partition, sont autant de traces parmi lesquelles chacun peut découvrir son propre chemin. Mais il y a d'autres facteurs qui entrent en jeu, comme par exemple le toucher, le rapport avec l'instrument, l'acoustique, ou l'ingénieur du son, la machine, sont autant de paramètres qu'on ne peut pas réduire à un seul élément.

 

L’inspiration, la transmission, même l’émotion, sont pour moi un ensemble de concepts qui nous servent essentiellement à communiquer, à mettre des mots sur des choses pour nous faire fonctionner autrement, d'une certaine façon. Mais je ne crois pas que cela soient des moteurs réels de création d'ordre musicale à proprement parler. La musique n'a pas besoin de quoi que ce soit d'autre en dehors d'elle-même pour pouvoir exister.

 

Ainsi, lorsque l'on écoute les pièces que j'écris, je souhaite peut-être qu'on puisse en suivre chaque mesure, chaque son l’un après l’autre, en oubliant ce qui a été mais aussi en l’intégrant car on est dans le présent. C’est un présent perpétuel car il contient à la fois le passé et le futur. Il y a une notion du tout dans l’instant, qui est unique.

Florent Nagel et Andika (Crédit B.Song)

Florent Nagel et Andika (Crédit B.Song)

Qu’est-ce qu’être un compositeur en 2018 à votre avis ?

 

F.N. : C’est assez récent dans l’histoire qu’on distingue les compositeurs des interprètes, et même des auditeurs. Mais il n’y a pas à « être compositeur », il n’y a qu’à être, tout court. Écrire de la musique en 2018, c’est vivre en 2018. 

 

Je ne m’occupe pas trop de savoir si la position sociale du compositeur a beaucoup changé, ou dans quelle mesure la nécessité d’écouter de la musique a évolué dans la société.

Je fais ma carrière comme on taille les pierres, je travaille, je fais ma vie comme je peux, comme tout le monde. On essaie tous de faire comme on peut, et parfois on entre en résonance avec des choses ou des gens auxquelles on est plus ou moins réceptifs selon les moments. Mais on ne peut pas l’être tout le temps, et je ne souhaite pas plaire à tout prix : le plus important n'est pas de faire le beau, c’est d’être vrai.

 

 

 

Pourquoi avoir composé le Livre pour Piano ?

 

F.N. : Depuis l'âge de 10 ans j'ai toujours composé par nécessité, souvent sous le coup d’une pulsion. J'ai écrit beaucoup de pièces isolées, essentiellement des pièces pour piano et de musique de chambre. 

Et puis en 2011, il y a eu la commande du conte musical Alice au pays des merveilles. Tout en faisant énormément tourner la pièce, j'ai alors éprouvé le besoin de panacher avec une autre œuvre. Au début, je voulais mettre des textes du Marquis de Sade en musique, pour essayer d'aller plus loin dans le rapport du montage avec un texte. Mais en commençant à y travailler, je me suis rendu compte que le texte était tellement fort, que l'on pouvait l'organiser avec n’importe quelle musique. Il me fallait donc renouer avec la grande architecture, afin d'élaborer une pièce très construite sur le plan formel. Puis j’ai rencontré Nicolas Bacri, qui m’a conseillé de revenir à la base du contrepoint en faisant une invention à deux voix et une fugue. Je me suis pris au jeu, et très rapidement j’ai composé cet ensemble de pièces, c'est à dire une heure de musiques pour piano, d’une seule traite. Au départ, je voulais donc organiser une pensée, et le propos a dépassé mon idée première. Et cela a donné naissance au Livre pour Piano. Dans un premier temps je ne souhaitais pas donner de titre à ces pièces. Je voulais simplement les numéroter, afin de ne pas influencer l'écoute de l’auditeur et des interprètes avec des références inutiles. Mais pour qu’elles puissent être jouées séparément, nous avons décidés avec l’éditeur, de leur donner des titres, d'où des titres de formes.

 

 

 

Qu’aimeriez-vous dire à la personne qui s’apprête à écouter votre musique pour la première fois ?

 

F.N. : J'ai trop de respect pour l'auditeur pour vouloir l'influencer en quoi que ce soit, d'autant plus que mes pièces n’ont pas besoin de « mode d’emploi » ou d’explication au préalable. Nous entendons tous la même chose, cependant cela ne circule pas forcément de la même façon en nous. Je préfère laisser chacun libre, parce que nous sommes tous créateurs de notre propre fonctionnement par rapport à ce qui nous est donné à entendre.

 

Mais une des choses auxquelles nous sommes sensibles en premier lieu dans un langage musical nouveau, c'est la Forme. Et la Forme, c'est la forme que prend l’organisation des idées, ou comment les idées se structurent dans le temps. Après Alice, j’ai fait quelques pièces où je voulais déconstruire l'aspect formel du langage. J'ai réalisé différents collages, et même une pièce où le pianiste ne joue pas, tout en mimant  qu'il joue quand même... J'ai fait tout cela à l'époque avec la sensation de n'avoir pas été jusqu'au bout de l'organisation de mes idées.

 

Dès lors que l'on commence à structurer sa pensée, on découvre rapidement comment on fonctionne intimement. Grâce à l'organisation que prennent nos idées dans l'écriture, on apprend à se connaître et à devenir vraiment soi-même.

Les nouvelles pièces du Livre pour Piano sont de cette veine-là : elles sont assez riches d'informations qui permettront à chacun de pouvoir se retrouver en elles. C'est pour cette raison que si la personne qui les découvre peut se structurer avec elles, suivre un déroulement, si ma musique lui permet de faire quelque chose pour elle-même, alors c’est très bien.

 

 

 

Quels sont vos prochains projets pour le futur ?

 

F.N. : Les projets sont pour moi du présent qui va peut-être devenir quelque chose. En ce moment, je suis en train d’organiser mes idées avec des formes qui me sont nouvelles comme par exemple la sonate, mais aussi des formes plus courtes. Tout cela sans savoir ce que cela va exactement devenir. Je vais à la rencontre de ce que j'écris, dont l'organisation se découvre progressivement. Je reste donc à l'écoute de la direction vers laquelle s'acheminent mes idées et je pense qu'il ne faut pas tout prévoir à l'avance. 

 

Cependant, concernant les moments forts de la saison par rapports aux concerts à venir, je jouerai à Paris le Livre pour Piano dans le cadre « Week-end du Piano Contemporain » en Février au Conservatoire du 15ème arrondissement, au cours d'un concert dédié à mes œuvres. J'y suis également invité à donner une Master Class. Je participerai aussi au « Lille piano Festival » en Juin prochain. L'Orchestre Victor Hugo (direction Jean François Verdier) enregistrera peut-être Alice en version orchestre et l’Orchestre National de Strasbourg (direction Marko Letonja) programmera la pièce en 2020.

 

 

 Interview réalisée par A.Ndika

 

Pour écouter des extraits de Livre pour piano, ça se passe ici, dans l'émission musique matin de France Musique du 18 août 2018.

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